Le jour où j’ai gardé mon foulard

par | 28/04/17 | Nos Voix

Tic, tac, tic, tac, l’horloge tourne. Aujourd’hui ! Oui, ce sera aujourd’hui ! Ou peut-être demain. Je ne sais pas… Parce qu’aujourd’hui, il y a ça et ça… Bon, alors demain… Tic, tac, tic, tac, le temps passe. Et puis, un jour, c’est le Jour où…

Quelques semaines avant

C’est au Ramadan 2016 que je décide de sauter le pas et de couvrir mes cheveux. La raison de ce geste est inscrite au fond de mon cœur. Dieu Seul sait. Cela restera entre Lui et moi. Une question technique se pose : « Comment vais-je faire au travail ? ».

Phase 1 : Lors d’une discussion sur l’islam, quelques propos maladroits sont prononcés par une de mes collègues. Mon chef, plutôt moqueur, essaie de rattraper les choses. Ça ne lui ressemble pas. Ma collègue sort de la pièce. Je ferme la porte et demande à mon chef : « Tu sais que je suis convertie ?». Il me le confirme. Je suis soulagée ! Au moins, je n’aurai pas à faire mon « coming out » !

Phase 2 : Lui dire que j’aimerais garder mon turban au travail… Aïe ! Et pourtant. Après des confidences faites à une des secrétaires de mon service, j’apprends qu’il y a, au sein de notre structure, une femme convertie qui travaille avec son turban. Elle n’est pas dans le même hôpital que moi. Je note son nom et je trouve la première excuse pour aller la voir. A l’aide d’une histoire bidon, je la fais sortir de son bureau. S’en suit un tête-à-tête où d’un coup, émues, nous ne sommes plus seules. Elle me conseille d’en parler à mon chef, de ne pas faire comme elle, qui un jour ne l’a juste pas enlevé…

Phase 3 : Ok, ok ! Je vais lui parler. Sa réaction : « Je me doutais que tu allais me poser la question ». Il me demande de prendre un peu de temps :

Ce n’est pas le moment, avec toutes ces affaires d’islamophobie.

Il me dit qu’en soi, ça ne lui pose pas de problème, mais qu’il n’a pas le temps de mener cette bataille pour moi. Qui lui a demandé de faire quoi que ce soit ? 😉 Je vais encore attendre un peu…

 

Les semaines passent…

Nous partons en meeting en Espagne. C’est décidé, aujourd’hui, je ne l’enlèverai pas ! Après tout, nous ne sommes pas en France et mes collègues m’ont déjà croisée plusieurs fois en sortant de l’hôpital ! Sauf que je tombe nez à nez avec mon chef, qui n’était pas censé être là. Mon cœur bat à 1000 à l’heure. Je sens son regard interrogateur. Aucun de nous deux ne dit rien. Le meeting se passe bien. L’ultimatum est lancé. Il sait, il a vu que je compte le garder. Et pour de bon !

 

Et puis, la Lituanie…

Novembre 2016, je pars, avec une de mes collègues médecins, donner un cours en Lituanie. Désormais, je ne l’enlève plus à l’étranger. Ces 3 jours d’échanges, de partages avec ces médecins, ces familles, ces enfants étrangers sont d’une richesse incroyable. Nous sommes émues, nous pleurons en nous quittant. Lors de la conférence, il y avait des étudiantes voilées dans l’amphi. Personne n’a fait allusion à mon turban. Personne n’a eu l’air étonné, gêné ou je ne sais quoi. L’important était ailleurs. Chacun d’entre nous a tenté d’apporter le meilleur de soi-même pour l’amélioration de la prise en charge de ces enfants malades. Et n’est-ce pas là le plus important ?

Conférence Vilnius, Lituanie. Crédit Photo : Stéphanie GT
Le matin du départ, j’explose en sanglots devant ma collègue. Ça ne peut plus durer… J’en ai marre de ce tiraillement constant. Pourquoi ai-je le droit d’être moi-même en dehors de Paris et devrais-je me cacher arrivée chez nous ? Mes compétences ne sont-elles pas les mêmes partout ? Elle me sort des excuses bidons comme : « Imagine qu’une famille refuse que tu t’occupes de leur enfant ». Et alors, qui aurait un problème, moi ou eux ? Et puis cette phrase, lâchée l’air de rien : « Tu sais, L. (le big boss) m’a dit récemment que si tu revenais lui demander le droit de garder ton foulard, il ne saurait pas quoi te répondre ». Et soudain, tout change… Cette phrase est restée gravée dans ma tête jusqu’à Paris. Il « ne sait pas » ??? Très bien ! Moi, je sais ! Je n’ai pas à demander l’autorisation à quelqu’un qui n’a aucun pouvoir sur mon choix. Cette fois, je vais le garder ! Plutôt que de demander, j’ai décidé de prendre ce droit !

 

Quelques jours avant

J’ai sondé mes collègues, j’ai dit à mi-mot qu’un jour, je ne l’enlèverai pas. J’ai évoqué avec curiosité les questions ou les méconnaissances de certaines d’entre elles sur le voile. J’ai écouté leurs réponses, qu’elles soient en accord avec moi ou non, avec toute la bienveillance dont je pouvais faire preuve. Ces derniers jours, l’ambiance est tendue au travail, avec ce fameux chef. Venir en sacrifiant une partie de mon identité n’arrange pas les choses. Je ne peux plus continuer comme ça.

 

Vendredi soir

Avant de partir, une collègue médecin me dit : « Stéphanie, il a trop besoin de toi. Comment pourrait-il te virer pour un turban au vu de tout ce que tu apportes à l’équipe ? ». Elle a raison. J’aime mon métier, j’y mets tout mon cœur. Un cœur que reconnaissent et où se retrouvent mes collègues, les parents, les enfants. Cette fois, c’est décidé ! Si je ne peux pas être moi, j’irai mettre mon cœur ailleurs, mais je ne veux plus cacher cette partie de mon identité. Je me prépare, je lis même « L’art de la guerre » pour me mettre en condition ! Et « Comment convaincre en moins de deux minutes ». On ne sait jamais ! 😉 Prête !

 

Lundi, le jour où… j’ai gardé mon turban au travail

Il y a de ces jours où tu décides que non, cette boule au ventre, tu ne la laisseras pas continuer à grandir. C’est tellement simple et facile de ne rien faire, c’est confortable de laisser les choses telles qu’elles sont. De ne pas prendre de risque. Mais le risque de quoi au juste : le risque de ne pas plaire à tout le monde ? Le risque de se prendre des réflexions ? Et en même temps, ce risque-là ne vaut-il pas la peine d’être soi-même ? D’être entière, des pieds à la tête ?

Je choisis ce jour, car nous avons une réunion avec beaucoup de dirigeants. Quitte à le garder, autant que tout le monde soit au courant en même temps. Ça y est ! Cette fois, c’est fait ! La DRH et toute l’équipe administrative ont vu. Quelques regards, mais rien de plus. Surtout, je ne lâche pas mon sourire ! Sauf que mes 2 chefs directs sont à l’étranger ce jour-là. Quel hasard ! Je mets 3 jours à les croiser ! La première remarque est :

Stéphanie, tu feras attention, tu as mis ta blouse à l’envers ! 😉


Crédit Photo : Stéphanie GT

Et depuis…

La seule réflexion a lieu lors de mon entretien annuel. Le chef me dit : « Je n’ai pas apprécié le coup du voile. Tu aurais dû m’avertir, me demander ». J’ai souri sans répondre. Il a insisté. Non, je ne m’excuserai pas de jouir de mes droits. Puis il continue : « Nous savons tous les deux ce qu’il y a dans les contrats. On pourrait se battre sur ce sujet-là. Mais, entre toi et moi, je préfère qu’on mette notre énergie pour les enfants plutôt que de perdre notre temps ». On est d’accord ! L’important est ailleurs.

J’ai tenu à partager cette histoire avec vous pour que, peut-être, certaines d’entre vous passent le pas. J’espère qu’elle vous inspirera. Chacune de nous peut faire un petit geste pour faire reculer les préjugés. Alors oui, quand ces patient·e·s viennent en consultation, ils ou elles voient une Stéphanie, kiné, en blouse blanche, convertie, avec un turban. Ça les fait tiquer et en même temps, je pense que ça les fait réfléchir positivement sur l’islam. Et comme dirait le papa d’un de mes patients, ça n’empêche pas que : « Vous êtes sa préférée ! ».

Et puis, ça donne des phrases d’enfants rigolotes, comme : « Elle a oublié d’enlever sa serviette après s’être lavé les cheveux », ou « Ah non, je n’ai pas de bonnet aujourd’hui, alors toi aussi, tu dois l’enlever ». Ça donne des mamans qui disent : « Je ne vous ai pas reconnue avec votre… euh… ». J’enchaîne : « Turban, foulard, tissu, vous avez le choix ! ». Nous sourions toutes les 2 et le médecin répond : « C’est toujours la même personne ! ».

Kinésithérapie. Crédit Photo : Stéphanie GT
Je sais que mon turban n’a pas le poids d’un voile, mais c’est un petit geste, un micro geste. Pour plus de libertés. Pas uniquement pour moi, mais pour les suivantes. Peut-être qu’après moi, une médecin pourra travailler ici avec un voile complet, qui sait…

Tant de fois, j’ai été attristée d’entendre des amies diplômées, architectes, éducatrices ou autres, aux dons inestimables, renoncer à travailler, car on ne voulait pas d’elles comme elles sont. Parfois même sans avoir osé essayer de le porter ! Tant de compétences gâchées. Pour moi, chacun·e d’entre nous a été doté·e d’un don, quelque chose qu’il ou elle sait faire avec amour mieux que personne. Doit-on arrêter d’utiliser ce don car la société ne veut pas de nous ? Doit-on leur faciliter la vie en devenant des « musulman·e·s discret·e·s » ? Osez ! Tentez ! Et au final, si on vous dit qu’on ne veut pas de vous, dites plutôt : « MERCI ! ». Et montez votre boîte ! Regardez toutes ces femmes incroyables qui nous entourent. Cherchez autour de vous ces femmes qui vous inspirent. Qu’ont-elles en commun ? Une cuillère en or dans la bouche ? Non ! Des combats, des échecs et des victoires ! Nous ne sommes pas au niveau de Rosa Parks, Malala Yousafzai, Emmeline Pankhurst… et en même temps, nous pouvons toutes faire un petit pas pour notre liberté.

Non, je ne suis pas QUE ce turban et il existe des millions de manières pour moi d’exister, de m’exprimer. Comme écrire. 😉 C’est juste un petit défi que « la vie » m’a réservé. Et en même temps rien par rapport à tout ce qui peut se passer ! Challenge accepté ! 😉

Je reste consciente d’être une privilégiée, d’être blanche, de m’appeler Stéphanie, de ne pas avoir d’enfant à charge. Je ne crois pas que cela soit faisable pour tout le monde. Je respecte profondément ces femmes seules qui doivent s’occuper de leurs enfants et qui retirent ce voile. Quel geste bien plus grand que moi ne font-elles pas en l’enlevant pour travailler et pouvoir nourrir leurs enfants ? Et en même temps, en faisant ce petit geste, moi, privilégiée, ne suis-je pas en train de leur faciliter leur vie à elles aussi ?

Une dernière histoire… Il y a peu, j’ai rencontré une femme qui m’a dit : « Tu sais, dans un de mes emplois, j’enlevais mon voile. Pourtant, je suis persuadée qu’ils auraient accepté. Et la fille après moi a fait la même chose. Je regrette, j’aurais peut-être pu lui ouvrir la voie ».

Mon plus beau souvenir depuis ces quelques mois, c’est d’avoir pu donner un cours d’une journée à l’institut Notre Dame, en étant voilée. Tout un symbole ! Ils ont tellement aimé qu’ils ont réussi à me faire revenir alors que je ne devais pas. Ce jour-là, je me sentais bien, alignée avec mes valeurs, honnête, entière. Grâce à Lui.

Une des femmes qui m’inspirent, c’est Rosa Parks. J’aime cette phrase d’elle, simple, puissante :

Les gens ont toujours cru que je n’avais pas cédé ma place parce que j’étais fatiguée. Ce n’est pas vrai. Je n’étais pas fatiguée physiquement. J’étais surtout fatiguée de devoir capituler.

A vous de jouer !

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