Coup de gueule d’une féministe musulmane révoltée

par | 26/09/18 | Nos Voix

Un jour banal. Un dimanche ensoleillé, une balade en famille, une glace dans un parc. Ça, c’est ce à quoi j’aspirais. La réalité, c’est une nouvelle journée à la saveur gâtée par l’arrière-goût amer — et familier — laissé en bouche par mon lot quotidien de racisme et d’islamophobie. Mais, contrairement à il y a quelques mois, je ne ressens plus de la tristesse, mais une révolte mêlée de colère.

 

Lorsque j’ai commencé à porter le foulard, que ma vie entière et mes relations se sont trouvées bouleversées (spoiler : pas de manière positive), j’ai surtout été extrêmement déçue de découvrir que le monde qui m’entourait était capable d’autant d’hypocrisie, de haine et de bassesse. Maintenant, la pilule a été avalée et la tristesse a laissé la place à la colère. Mais ça, j’ai mis du temps à l’accepter.

Récemment, je me suis en effet rendu compte qu’en tant que femme musulmane, la colère était tout simplement une émotion à laquelle je n’avais pas le droit. La violence des réactions à laquelle je suis exposée dès que j’exprime la moindre irritation se charge de me rappeler à l’ordre. Pour certain·e·s, en tant que croyante — de surcroît, visible — je ne saurais m’abaisser à un tel registre émotionnel. Pour d’autres, ce registre traduirait précisément la violence inhérente à ma religion. La colère exprimée démontrant par ailleurs en elle-même que mes propos ne peuvent et ne doivent pas être pris en considération.

Sauf que non.

Ce n’est pas parce que je suis musulmane et que je porte le voile que je dois devenir une sainte, et mes réactions être exemplaires. Pas plus que ma religion n’alimente mes émotions négatives — bien au contraire.

Aujourd’hui, les comportements dissuasifs m’ont tellement poussée à ravaler cette colère que je ressens un besoin irrépressible de l’exprimer, de lui donner son droit, de laisser sortir cette boule de feu — en assumant les risques que cela implique. Parce que tant que je ne le fais pas, c’est moi qu’elle brûle de l’intérieur, et puis parce que…

 

Parce que j’en ai MARRE de devoir peser chaque mot et policer tout ce que je dis pour, au choix : ne pas heurter les personnes bien intentionnées aveugles à leurs propres racisme et/ou islamophobie ; ne pas me faire objecter par mes coreligionnaires que mon comportement ne serait pas digne de notre éthique ; ne pas prendre le risque de me discréditer et perdre alors le bénéfice de mon argumentaire ; ne pas donner raison aux rageux·ses qui voient en moi une assaillante pétrie de haine à leur égard etc.

Parce que je suis USÉE de me justifier continuellement face à des personnes qui, en réalité, n’en ont strictement rien à cirer, n’écoutent pas ce que j’ai à dire et balaient mes propos d’un revers de main car ces derniers ne correspondent pas à ce qu’elles et ils ont envie d’entendre — en l’espèce, des variations sur le thème de « je-suis-soumise-aidez-moi-à-devenir-comme-vous », voire de « merci-la-France-de-nous-avoir-colonisé·e·s-ghettoïsé·e·s-et-exploité·e·s-c’est-toujours-mieux-que-dans-notre-pays-amen ».

Parce que je suis RÉVOLTÉE d’être traitée avec tant de condescendance, comme si j’étais une enfant inconsciente et irresponsable. Ma parole est systématiquement méprisée, au profit de celles et ceux qui, glosant à loisir, font figure d’adultes au discours nécessairement légitime.

 

Parce que je deviens DINGUE à m’égosiller dans le vide, quand ma parole provoque immanquablement un acharnement visant à l’étouffer, et que le moindre de mes témoignages est conspué. Dingue que des personnes ne connaissant rien de ce que je vis s’érigent en censeurs·ses pour m’accuser de paranoïa, d’exagération, d’affabulation, de mensonge et de manipulation, quand ce que je décris ne constitue que ma stricte réalité. Dingue de subir le racisme, le sexisme et l’islamophobie dans ma chair, de savoir que je ne suis pas la seule, et qu’on ose me rétorquer que ce que je dénonce n’existe pas.

 

Mon diagnostic officiel : vous êtes un·e abruti·e. / Crédit : Bluntcards

 

Parce que je suis SAOULÉE d’entendre des musulman·e·s ou des racisé·e·s m’accuser de victimisation car ils et elles ne se rendent pas compte que leur niveau d’études, leur statut social, leur apparence physique, leur genre ou même leur situation géographique les protègent de certaines réalités, et que leurs postures servent en fait à légitimer la culpabilisation des discriminé·e·s tout en échappant aux accusations de racisme.

Parce que je BOUS face à l’aveuglement de cette société qui tend le micro et déroule le tapis rouge à celles et ceux qui crachent leur mépris de ceux qu’ils ne supportent simplement pas de ne plus pouvoir dominer. Je vois rouge quand on me dit que nous devrions être reconnaissant·e·s d’être des citoyen·ne·s de seconde zone. Comme si nous avions atterri ici si la France n’avait pas colonisé nos pays d’origine, et comme si nos aïeux n’avaient pas déjà versé assez de sang, de sueur et de larmes pour elle.

Parce que je suis ULCÉRÉE par l’hypocrisie de cette société qui se pare de toutes les vertus, invoque les plus beaux discours pour mieux discriminer, écraser et museler. Ulcérée qu’on invoque le féminisme pour nous discriminer, l’anti-racisme pour discréditer et évacuer nos luttes, la liberté d’expression pour permettre les déversements de haine à notre égard. Ulcérée qu’on nous prenne pour des imbéciles en inventant tous les prétextes possibles et imaginables pour nous exclure sans avoir l’air de nous discriminer.

 

Parce que je suis ÉPUISÉE de me battre contre des moulins, et de ce pays qui refuse d’ouvrir les yeux sur son racisme qui s’exprime de manière toujours plus décomplexée. Épuisée de ce pays dont le premier réflexe est de s’indigner qu’on puisse le mettre en accusation, alors qu’il est le seul sur cette planète à croire encore qu’il est la patrie des droits humains.

Parce que je n’en PEUX PLUS de devoir négocier ma vie en élaborant des stratégies pour décrocher un travail, trouver un logement, partir en vacances, faire du sport, aller chez le médecin, et même me balader — parce que, sachez-le, flâner dans certains quartiers est un vrai calvaire. Je n’en peux plus qu’un nombre si important de mes concitoyen·ne·s considère ces discriminations comme normales parce que c’est ce qu’on leur rabâche depuis des années. Je n’en peux plus que la moindre tâche quotidienne puisse être gâchée par l’insistance des regards méprisants, les remarques racistes, les insultes franches… et le risque que cela aille plus loin.

Je n’en peux plus de l’autocensure, ni de cette inquiétude diffuse chaque fois je me rends dans un nouveau lieu. Je n’en peux plus de constater que tant de femmes autour de moi se trouvent contraintes d’abandonner leurs rêves et planifient leur vie en fonction des discriminations qu’elles savent qu’elles devront affronter.

 

Crédit : Victoria Silveyra

 

Je n’en peux plus de sentir cette MERDE chaque jour de ma vie. Je n’en peux plus qu’une bonne partie de la société use de toute son énergie pour écraser ma parole et affirmer, du haut de toute sa condescendance, que ce que je décris n’existe pas… pendant qu’une autre bonne partie, trop occupée à se regarder le nombril et à le poster sur Instagram, ne se soucie pas du glissement en train de s’opérer dans ce pays.

Je n’en peux plus des situations d’injustice, provoquées par quelques-un·e·s, mais rendues possibles uniquement car les personnes présentes alentours se taisent et font semblant de ne pas voir ou de ne pas entendre.

 

Et je suis HORS DE MOI quand, face à tout cela, je n’aurais pas le droit de m’énerver, alors que c’est aussi cette révolte qui me fait me tenir droite et me donne la certitude que je ne me plierai jamais à ce que l’on attend de moi : l’effacement pur et simple de mon identité.

La France a colonisé nos ancêtres, puis elle a fait venir nos parents pour qu’elles et ils se chargent du travail dont les Français·e·s ne voulaient pas. Qu’elle assume, maintenant ! Nous sommes là et nous n’avons aucune intention de nous laisser domestiquer.

Petit clin d’œil à celles et ceux que ce dernier paragraphe aura fait baver de rage : au fond, peut-être qu’on devrait vous remercier, puisque vous contribuez, à votre manière, à alimenter cette flamme de vie et de détermination en nous.

 

Crédit image à la une : Emiliano Ponzi

 

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