[Communiqué] LE SYNDROME MÉDITERRANÉEN, PLAIE BÉANTE DU RACISME MÉDICAL EN FRANCE

par | 12/12/23 | Communiqués

En juin 2023, Aïcha, une enfant noire âgée de 13 ans est décédée à l’hôpital des suites d’une hémorragie cérébrale. Tout aurait dû être fait pour éviter sa mort. 

Dimanche 3 décembre, Médiapart a publié une enquête sur les évènements qui ont mené à sa mort. On trouve des enregistrements audios où l’on entend trois sapeurs-pompiers appelés au domicile d’Aïcha refuser de prendre en charge l’enfant. Aïcha est accusée de mentir sur son état et de faire semblant. Sa mère alors présente est accusée d’être trop émotive, aux prises avec son instinct maternel et de ne pas comprendre les propos des sapeurs-pompiers. Ces derniers demandent à ses parents de « raisonner » leur fille de 13 ans qui continue de se plaindre et leur disent qu’elle n’est pas en danger. Les sapeurs-pompiers s’en vont. Aïcha est à demi-consciente. Elle ne reprend pas connaissance. Le père d’Aïcha la conduit aux urgences quelques heures plus tard. Elle meurt 12 jours après. 

Le délai de prise en charge lui aura été fatal. 

Nous exprimons tout notre soutien et notre amour à la famille d’Aïcha. À ses parents, Sambola et Mariama qui ont porté plainte pour homicide involontaire et mise en péril, à sa soeur présente et témoin, à Numa sa tante qui s’exprime aux micros de Mediapart et au frère jumeau d’Aïcha, qui devait célébrer leur anniversaire le jour du malaise de sa soeur.

 

Notre colère et notre peine sont profondes. La mort d’Aïcha nous rappelle celle de Naomi Musenga en décembre 2017, elle aussi décédée à l’hôpital après avoir subi un refus de prise en charge d’un accident vasculaire abdominal par des interlocutrices du Samu à qui elle faisait état de son inquiétude et de ses douleurs intenses. Des enregistrements audio de sa prise en charge ont également été diffusés. L’opinion publique était à l’indignation, des victimes de racisme médical ont alors témoigné et de nombreux•euses soignant•e•s ont dénoncé les protocoles racistes qu’iels observaient.

Nous pensons également avec tristesse et indignation à Yolande Gabriel, une femme Martiniquaise de 65 ans, décédée en août 2020 en Seine-et-Marne, après avoir attendu les secours plus d’une heure. De nouveau, le Samu n’a pas pris au sérieux sa douleur, des enregistrements l’attestent. Ses filles Laura et Christine se battent pour obtenir justice.

Selon les résultats d’une enquête intitulée « Samu, pompiers, 112, hôpital… Vous avez été mal reçu.e ? Témoignez » lancée en 2017 par Féministes contre le cyberharcèlement, Lallab, Tara Dickman, le Groupe F ou encore Paye ta shnek : 60 % des femmes au nom à consonance arabe ou berbère attestent que leurs propos ont déjà été remis en doute par les personnels d’accueil des urgences. 65 % des répondantes avec un nom à consonance africaine ont déjà subi des moqueries. 28% d’entre elles ont subi des « gestes brusques », plus nombreux encore  pour les personnes se disant perçues comme « non-blanches » (28% au lieu de 23% en moyenne). Les imaginaires racistes, islamophobes, afrophobes, misogynoires et coloniaux pèsent sur les corps des personnes non-blanches, ils nourrissent et justifient des pratiques discriminantes qui ne sont que l’iceberg des violences médicales infligées.

 Cette réalité de maltraitances racistes et de mises en danger par le monde médical est insupportable et ne peut continuer à être niée. Depuis 2018, la seule conséquence du décès de Naomi Musenga par négligence a été la démission du responsable du Samu de Strasbourg et un rapport de l’IGAS. Le médecin régulateur impliqué dans la prise en charge de Yolande Gabriel a lui été déresponsabilisé.

 

Nous ne nous y trompons pas : ces décès sont le reflet d’une société misogyne aux relents colonialistes qui approuve le fait que ses soignant•e•s catégorisent, essentialisent & trient certain•e•s patient•e•s  par pur racisme, leur réservant une médecine de dispensaire (diagnostics simplistes et soins grossiers). Ce traitement racialisant discrimine les personnes afro-descendantes ou perçues comme telles, dans leur accès au soin, à la prise en charge de la douleur. Malgré les mises en garde et les appels à la raison, les personnes qui ont appris le syndrome méditerranéen continuent de maltraiter.  Il est encore enseigné aux soignant•e•s, est intériorisé depuis des décennies et répandu dans leurs pratiques.

 Le syndrome méditérannéen avance que les personnes afro-descendantes expriment avec exagération et emportement leurs souffrances. Il touche également les patient•e•s d’origine des pays de l’Est. Il concerne à fortiori les filles et les femmes. Ce biais se traduit par du mépris et des humiliations verbales durant les échanges, l’examen, la consultation ainsi qu’une minimisation des symptômes et un refus de prise en charge qui les mettent en danger. 

Par ailleurs, ces imaginaires racistes, islamophobes, négrophobes et coloniaux pèsent sur les corps des personnes non-blanches, comme cela a été le cas avec Aïcha, dont les souffrances ont été amenuisées, ridiculisées, pas entendues, tues. Ces corps sur lesquels la médecine projette ces constructions violentes se retrouvent maltraités voire tués.

 Aucun rapport officiel, aucune enquête de victimologie n’existent sur le racisme médical en France. Le phénomène est nié par les autorités. En 2018, François Braun alors président de Samu-Urgences de France qualifiait de pur “fantasme” et “d’épiphénomène” l’enseignement et l’imprégnation du syndrome méditerranéen dans les pratiques des soignant•e•s. La Ministre Buzyn disait connaître des dizaines de cas comme celui de Naomi Musenga. Pourtant rien n’a été entrepris à échelle nationale aujourd’hui.

 

Nous demandons au Ministre Aurélien Rousseau de lancer un audit interne sur les discriminations à l’œuvre dans la prise en charge des patient.e.s. 

Nous exhortons les pouvoirs publics à mener une enquête rigoureuse sur les conditions de prise en charge d’Aïcha.  L’avocate de sa famille Me Elena Sos reporte une enquête “très rapide” “menée sans prendre connaissance de l’enregistrement intégral et sans contacter la famille”  est étonnant », souligne l’avocate des parents d’Aïcha, Me. Elena Sos. 
Après les négligences médicales, sa mémoire est méprisée par des négligences dans l’enquête sur sa mort. Nous réclamons des moyens à la hauteur des enjeux. Que justice soit rendue.

 Ressources : 

– Les comptes Instagram : @sante_politique, @pourunemeuf, @sansblancderien, @racismeinvisible
– Le travail de Myriam Dergham,  interne en médecine générale

– L’interview de Leïla Warlock par le Syndicat National des Jeunes Médecins “Racisme dans le monde de la santé” 

 – Appel à témoignages de victime du racisme médical, par Tsippora Sidibé, @tantquejeserainoire 

 Texte écrit en collaboration avec @aboutjusticerepro @vscyberh @assolallab @ladoulaqueer