Vendredi dernier, Amani Al-Khatahtbeh, journaliste américaine, a subi une humiliation et une véritable tentative d’intimidation de la part d’agents de douane à peine arrivée à l’aéroport de Nice. Elle a raconté cette histoire sur Facebook décidée à agir juridiquement pour que cela n’arrive pas à d’autres femmes musulmanes. Cet épisode particulièrement grave est en effet symptomatique de l’islamophobie à laquelle peuvent être confrontées les femmes musulmanes face à la douane et plus généralement à l’administration.
Amani Al-Khatahtbeh est une journaliste et auteure américaine, fondatrice du magazine en ligne MuslimGirl crée en 2009 et permettant aux femmes musulmanes de se réapproprier leurs récits. Elle est arrivée il y a quelques jours en France pour être jurée lors du festival Cannes Lions à Cannes, festival international de la créativité où se réunissent des médias, des professionnel·le·s de la publicité, auquel elle avait déjà participé l’année dernière.
Ce vendredi, Amani écrit dans un post sur Facebook : «Je tremble alors que j’écris ceci. Je viens d’atterrir à Nice, en France pour être jurée lors du festival Cannes Lion et j’ai quasiment été expulsée avant même d’avoir pu fouler le sol français. J’ai tellement peur que le policier qui a fait cela se sente tout puissant et recommence avec des femmes musulmanes plus vulnérables donc je dois partager cette histoire en espérant que cela permette de faire une différence.»
Contrainte de retirer son voile sans aucun fondement.
Amani écrit : « Tout d’abord, le douanier n’a pas voulu tamponner mon passeport tant que je portais mon voile, alors même que je suis voilée sur ma photo de passeport… il m’a conduit vers un policier qui m’a emmenée dans une station de police isolée dans l’aéroport. Alors que je continuais à lui demander les raisons pour lesquelles je devrais enlever mon voile, si ce n’est pour des motifs de sécurité, il répétait en boucle, avec une certaine perversion « Vous êtes en France et en France, je veux voir vos cheveux ».
Quand j’ai fermement répondu « vous ne verrez pas mes cheveux », il est devenu extrêmement hostile et agressif avec moi et a insisté sur le fait que c’était la LOI. J’ai répondu que c’était d’accord mais que je les montrerais uniquement à une policière, pas à lui (même si cela reste tout aussi dégradant vu qu’il est clair que la SEULE raison pour laquelle ils ont voulu voir mes cheveux étaient de me « remettre à ma place » en tant que Musulmane). Après avoir retiré mon foulard devant elle dans le bureau, ils ont estampillé mon passeport et me l’ont tendu. »
Sous prétexte qu’il s’agit de la loi et que cela se passe ainsi en France, cet agent de douane a contraint Amani à retirer son voile pour pouvoir passer la douane. Ce qui est faux : aucun règlement européen ou aucune loi ne permet à des officiers de contraindre une femme à retirer son voile.
La seule exception prévue concerne des motifs de sécurité, dans le cas où une personne ne serait pas identifiable, son visage ne serait pas à découvert. La laïcité, elle-aussi, ne justifie évidemment pas un tel traitement puisque l’obligation de neutralité ne s’applique qu’aux agents publics et non pas aux usagers de celui-ci.
Ainsi, Amani a demandé logiquement les motifs qui justifiaient cette demande, puisque toute personne confrontée à une telle situation est en droit de demander la réglementation à l’appui de la demande, et elle s’est vue répondre de manière agressive sans aucune explication qu’elle devait l’accepter parce que c’est comme cela. Cela est représentatif d’un traitement humiliant, infantilisant et illégal qui est fait aux femmes musulmanes et qui se banalise de plus en plus : sous de faux prétextes, elles devraient accepter que leur liberté de disposer de leur corps et de se vêtir comme elles le souhaitent soit abusée au bon vouloir de leur interlocuteur. Amani l’explique très bien en disant que l’on a voulu la remettre à sa place en tant que musulmane.
Ce type de comportements est loin de se limiter au passage de la douane et se retrouve dans l’administration française en général : lors des dernières élections présidentielles, une femme a décidé de porter plainte après que le président du bureau de vote d’Orange l’ait contraint à enlever son foulard afin de pouvoir voter. (Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, racontait lors du Colloque Etre femmes aujourd’hui en France, que certains préfets interdisaient à des femmes portant le voile l’accès à la préfecture, pensant que cela cadrait avec la laïcité.) Force est de constater que le discours médiatique et politique déshumanisant envers les femmes musulmanes contribue à normaliser les actes islamophobes venant d’agents publics eux-mêmes.
Malheureusement, cet épisode d’humiliation ne s’est pas arrêté là.
Une véritable intimidation.
Après que son passeport ait été tamponné, Amani ajoute :
« Et là, J’AI APPAREMMENT FAIT L’ERREUR DE DEMANDER A L’OFFICIER SON NUMERO DE MATRICULE. Lorsqu’il m’a répondu d’une manière hostile, je lui ai dit que si c’était la loi, il ne devrait pas avoir à s’inquiéter. C’est là qu’il a explosé et m’a confisqué mon passeport. Il m’a dit « tu me demandes mon matricule ? Je prends ton passeport ». Et il m’a immédiatement informé qu’il allait me « renvoyer à New York ». J’ai continué à demander qu’ils contactent l’ambassade américaine et ils ont refusé au moins 10 fois. Pendant tout le temps où je demandais le numéro de leur station afin que mes proches puissent me contacter, le bureau entier plein d’officiers me répondaient « VOUS ETES EN FRANCE LA, NOUS NE PARLONS PAS ANGLAIS », « C’EST LA FRANCE », « CE N EST PAS L’AMERIQUE C’EST COMME ÇA QU’ON FAIT EN FRANCE », « ELLE DOIT PARLER FRANÇAIS ». Ils avaient déjà appelé Delta Airlines pour organiser mon retour immédiat vers NY avec une correspondance à Tunis.
Cela jusqu’à ce que je fasse comprendre clairement que JE SUIS JOURNALISTE, MEMBRE DU JURY POUR LE LION FESTIVAL À CANNES, QUE DES GENS ALLAIENT DEMANDER DE MES NOUVELLES ET J’ECRIRAI A PROPOS DE CELA. Ils ont alors appelé une personne à la direction de Delta ou quelque chose comme cela et lui ont dit en français « on a cette journaliste ici ». Elle a alors « fait la médiation » en me disant de fermer ma bouche si je voulais sortir de l’aéroport. Elle insistait pour que je reste silencieuse alors que le policier me lançait des provocations comme « Vous avez deux options : vous allez fermez votre bouche ou vous allez continuer à faire des problèmes ? ».
Il AVAIT BESOIN de me remettre à ma place. Rappelons les faits tout cela est arrivé parce qu’ils m’ont forcé à retirer mon foulard religieux sans aucune autre raison que « ON EST EN FRANCE » et que le policier à l’origine de cela s’est énervé quand j’ai demandé son numéro de matricule. Ah oui, c’est l’officier de douane de l’aéroport de Nice numéro #1096515. »
Le fait qu’Amani ait demandé le numéro de matricule de l’agent qui l’a forcé à retirer son voile, a suffi pour que les agents confisquent son passeport, l’agressent verbalement et prévoient son expulsion immédiate vers New-York. C’est une nouvelle fois symptomatique de ce qui peut arriver aux femmes musulmanes : ici, l’agent a attenté à la liberté d’Amani sans aucune explication et lorsqu’elle se contente de demander un élément qui lui permettrait de défendre ses droits, tout est fait pour la faire taire, pour qu’elle reste à la place qui lui est assignée. Elle est censée accepter le traitement qui lui est infligé « sans faire de vagues » ou bien, elle est traitée quasiment comme une criminelle, comme une fauteuse de troubles par l’ensemble des agents. Et c’est aussi ce que lui renvoie la responsable de la compagnie aérienne en lui demandant uniquement à elle de se taire.
Soulignons aussi que si finalement Amani n’a pas été expulsée, c’est uniquement parce qu’elle a pu faire comprendre qu’elle était jurée lors d’un festival, qu’elle bénéficie d’une certaine notoriété et d’une audience large : une femme inconnue, dans une situation plus vulnérable pourrait être traitée de manière encore plus déshumanisante et n’aurait pas été en mesure de rendre cette affaire publique. C’est aussi pour cela qu’elle ne compte pas en rester là :
« Je vous raconte régulièrement les expériences que je subis en tant que femme musulmane dans le climat politique actuel, notamment des histoires ayant eu lieu dans plusieurs aéroports, et celle-ci restera à tout jamais gravée dans ma mémoire pour la déshumanisation et l’humiliation qu’ils ont cherché à me faire ressentir de manière répétée. Ils ne sont pas tirés d’affaire juste parce qu’ils m’ont laissé entrer dans leur pays raciste pour sauver leurs fesses. Ils n’avaient pas peur de violer mes droits, ils avaient peur que cette affaire prenne de l’ampleur.
Je ne sais pas de quel recours juridique je peux disposer pendant que je suis ici, je ne me sens pas en sécurité et ce n’est pas l’accueil que j’attendais mais au moins j’ai ma plateforme et vous êtes derrière moi. J’ai tellement peur que ce policier pense s’en sortir comme cela et qu’il continue à se comporter de cette manière avec des femmes musulmanes plus vulnérables et je ne peux pas supporter ça ».
Un acte loin d’être isolé
Les populations noires, arabes ou perçues comme musulmanes sont sujettes au profilage ethnique et raciale, les agents de police les soumettant à des contrôles approfondis et à une politique de suspicion, du simple fait de leur couleur de peau, de leurs origines ou leur religion avérée ou supposée. Cette pratique, déclarée illicite par le Comité des droits de l’Homme de l’ONU, est extrêmement humiliante et lourde pour les victimes, notamment lorsqu’elle est vécue au quotidien.
Lorsque ces contrôles touchent des femmes musulmanes portant le voile, ils se manifestent régulièrement par une volonté de les contraindre à retirer celui-ci et par une hostilité immédiate. Amani Al-Khatahtbeh a déjà été plusieurs fois confrontée à de telles discriminations lors de contrôle à l’aéroport ou face à différents services, comme de nombreuses autres femmes. Il est alors extrêmement déshumanisant de voir sa dignité, sa liberté religieuse et son droit à disposer de son corps comme elles le veulent restreints, par des personnes persuadées qu’elles ont leur mot à dire et qu’elles sont légitimes à décider de la tenue des femmes musulmanes.
Actuellement en contact avec le CCIF, Amani a décidé de défendre ses droits et d’agir juridiquement pour que ce policier ne se sente pas pousser des ailes. Face à sa réaction, j’ai lu des commentaires lui reprochant de se comporter comme une drama queen et d’avoir une réaction excessive, qu’il lui aurait suffi de retirer son voile quelques secondes et de passer à autre chose, que ce n’est qu’un événement anodin. C’est également ce qui a été reproché à cette femme qui lors des élections présidentielles, a été forcée de retirer son voile. Ou, l’art de transformer la victime d’une discrimination en coupable sans comprendre que ces évènements perçus comme des micro-agressions ou pas si graves s’accumulent et sont d’une violence symbolique, verbale et parfois physique énorme. Sans comprendre que face à de telles atteintes à leurs droits et à leur dignité, elles exercent leur droit à se défendre, à agir.
Il faut se mobiliser pour que plus jamais ces comportements islamophobes ne puissent être considérés comme normaux. Soutenons donc Amani Al-Khatahtbeh et partageons au maximum son expérience.
Image à la une : via broadly.vice.com
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