Femmes musulmanes et savoir religieux : à chacune sa quête et ses obstacles

par | 18/12/20 | (Dé)construction

Œuvre de Hind Ben Jabeur « J’ai appris à tomber dans les profondeurs de mon propre puit, car c’est au fond de nous que l’eau est clairvoyante. » Jassem el Sahih

 

Il y a autant de rapports au savoir religieux qu’il y a d’êtres sur Terre. Ce rapport au savoir religieux, propre à chacun.e.s d’entre nous qu’on le questionne ou pas, est au cœur du Lallab Agora de cette année qui se penche ce semestre sur l’œuvre de Fatima Mernissi, Le harem politique : le prophète et ses femmes. La volonté de déconstruire en vue de se réapproprier le savoir religieux a motivé le travail de cette sociologue, musulmane et féministe marocaine aujourd’hui décédée, qui a lutté en toute bienveillance pour une autre version de l’Histoire dans une société patriarcale qui, en vue d’assujettir et d’assigner la femme à des rôles spécifiques, va faire mine de puiser dans la religion pour asseoir sa domination. Cet article s’intéresse à la quête du savoir religieux de femmes musulmanes, qu’elles soient Lallas ou non, que leurs cheminements soient conscientisés ou non.

 

« J’ai peur d’approcher les textes sacrés, j’ai peur de ne pas y trouver les réponses, peur de ne pas m’y retrouver. J’ai peur de ne pas comprendre, de me méprendre. » Anonyme.

 

« Je suis dans une phase depuis sept ans de méditation dans le sens où je me pose des questions là où je ne m’en posais pas. […] Depuis mon divorce, je suis dans un cheminement personnel. Ça a été un obstacle qui a renforcé ma foi. » Asna, 37 ans

 

En réalisant ces interviews, j’ai peu à peu réalisé à quel point le rapport au savoir religieux relevait de l’intime des femmes interrogées. Mes questions que je pensais lisses venaient toucher à l’intimité de leur éducation, de leur vie familiale, de leur corps, de leur cœur, de leur être et de leur quête. De ce fait, le témoignage livré en toute sincérité par ces femmes sera publié brut, sans volonté de le dénaturer ou de l’analyser. Afin de respecter l’anonymat de certaines d’entre elles, seuls des extraits sont ici partagés, de manière entremêlée.

 

 

 

« Je me sens seule face aux savoirs religieux. »

 

« Je choisis le mot « face » parce que mon éducation religieuse se fait essentiellement sur YouTube. Mais je me sens aussi sereine et légitime quand je questionne, pense, contemple, m’approprie des savoirs religieux. J’ai reçu ma religion en héritage. Je crois qu’en grandissant, j’ai compris la religion comme un ensemble de règles et de limites qui venaient entraver ma liberté. J’observais ces limites avec crainte. À ne surtout pas franchir ! Quand je posais des questions à des proches sur ce sujet, je sentais des crispations et une peur. Je suis la première génération née en France dans ma famille et je pense que quand je questionnais la religion, eux le vivaient comme si je questionnais leur culture. Mon point d’interrogation traçait soudain une frontière entre eux et moi, du moins, c’est ainsi que je l’interprète. Questionner le religieux revenait et revient toujours pour moi à questionner beaucoup plus que le religieux. Se trouve au tribunal de mon intellect et de mon cœur, mes identités culturelles, mon éducation, ma perception du temps, de l’amour, de la mort, de la vie, bref ma grille de lecture sur l’Univers. […] J’ai toujours intuitivement senti que se poser des questions était peut-être plus signifiant que les réponses que je pourrais trouver. » Lydia, 24 ans.

 

« Je ne sais pas où chercher et du coup, je demande à ma sœur. Je ne vais pas avoir la jugeote de chercher  parce que j’ai peur, c’est sacré, c’est important, ce n’est pas comme quand je regarde les trucs sur les people, ce n’est pas important, on s’en fou si c’est du fake news. » Inès, 28 ans.

 

« Aujourd’hui avec du recul, j’aurais aimé avoir des endroits où apprendre la science de la religion sans être taxée d’extrémiste. » Lamia, 34 ans.

 

« N’étant pas vraiment dans les normes de ce que devait représenter la bonne petite musulmane, j’avais du mal à m’identifier en tant que musulmane parce que j’ai tout le temps eu l’impression d’être une pécheresse. Je suis bi et je l’ai toujours su et ça a toujours été difficile en tant que musulmane. Ensuite, les premiers amoureux que j’ai eus étaient non-musulmans et on m’a toujours dit que je ne pouvais pas me marier avec un non-musulman. Ma nature profonde ne correspondait pas à ce qu’on pouvait attendre d’une bonne musulmane. Plus tard, c’est le fait de ne pas être pratiquante et d’être féministe aussi qui a été un obstacle à ma quête du savoir religieux. […] C’est le féminisme islamique qui m’a réconciliée avec le religieux. » Anonyme.

 

« Mon ex-mari m’a fait sentir que j’étais illégitime dans ma quête de savoir. En fait, c’est dû à son caractère, c’est quelqu’un de très fier.  Il ne connaissait pas trop la religion et il n’acceptait pas le fait que moi, qui suis française et plus jeune que lui, connaisse plus de choses que lui. Donc très souvent, il rejetait ce que je disais, en me disant : « Mais toi, qu’est-ce que tu connais… » » Nathalie, 34 ans.

 

« J’ai un rapport un peu ambivalent à ma solitude dans cette quête du savoir. De cette solitude naît une confiance en Dieu, en son attribut de Guide, d’Educateur, en mon habilité à réfléchir, à choisir, mais de cette solitude, naît aussi la peur de ne pas avoir les bons outils pour étudier.» Lydia, 24 ans.

 

 

 

« L’obstacle est dû à mon sexe. »

 

« Aujourd’hui, l’accent est plus mis sur les cours des hommes, donc les hommes ont une multitude de cours qui sont répartis dans la semaine, ils peuvent avoir cours en pleine semaine, le mercredi, le week-end et en soirée. Le deuxième public qui est visé, c’est celui des enfants. […] Donc pour les femmes, je trouve, pour avoir contacté différents instituts, qu’on a une offre qui est plus pauvre et c’est très dommage. Par exemple, j’ai dû quitter mon institut parce qu’ils proposent des cours de Coran le mardi matin et moi, ça m’a révoltée parce que le mardi matin entre les sœurs qui travaillent, qui sont étudiantes ou qui sont mamans, c’est juste impossible. Les hommes et les enfants sont prioritaires alors que nous aussi, on est en droit de vouloir apprendre notre religion et puis de la transmettre aussi selon notre capacité. » Fanny, 34 ans.

 

 « Je suis plus dans l’écoute, je ne cherche pas, j’écoute ce que dit ma mère, ma grand-mère. Pendant le ramadan, j’ai lu 40 pages du Coran. Parfois, je ne comprends pas les mots de la traduction. Ou des fois, je lis bêtement du coup, ça me saoule et j’arrête. Je n’aime pas lire, donc je préfère plus qu’on m’explique. Je comprends mieux les choses. Maintenant, je me pose des questions. J’ai remarqué que c’était toujours l’homme qui avait le droit à tout et pas la femme. Et à partir de là, je me suis dit pourquoi moi, j’aurais moins. Je suis sûre que si un jour je lis le Coran, je comprendrais autre chose parce qu’en fait, ce sont les hommes qui disent ce qu’ils ont compris et même pour ma mère, je me dis que ce sont aussi des hommes qui lui ont enseignés ce qu’elle sait. » Anonyme.

 

« Le savoir religieux me sert dans le sens où j’arrive à trouver les mots et les raisons de faire les choses. Je me sens moins musulmane par héritage. Je médite beaucoup, je me remets beaucoup en question. […] J’aime beaucoup l’ijtihad[effort de réflexion] dans le savoir. Le savoir est dominé par les hommes. Les hommes te soumettent directement, tu dois t’écraser. Mais si tu es une femme et que tu es prête, tu peux t’y mettre aussi.» Asna, 37 ans.

 

 

 

« Je ne lis pas l’arabe. »

 

« Mon rapport au savoir religieux a évolué d’un savoir traditionnel et culturel à un savoir plus approfondi parce que je me suis mise à chercher. […] Dans ma quête, il y a la barrière de la langue. J’ai appris l’arabe, mais je n’ai pas les armes pour décrypter le Coran. Même s’il y a la traduction, j’ai toujours le sentiment que je passe peut-être à côté d’une interprétation et il y a toujours cette petite chose en toi qui a peur de mal interpréter vu que le Coran est en langue arabe. », Lamia, 34 ans.

 

« Je ne lis pas et je ne comprends pas l’arabe littéraire. Je sens que je ne peux pas saisir la profondeur des mots dans le texte sacré, de leurs sens, de leurs réalités. Pendant longtemps, je me suis sentie loin du Coran. J’avais le sentiment de passer à côté du sens. Le Coran ne se lit pas comme un roman. Néanmoins, je crois profondément que le sens et les effets du texte sacré sur le cœur, l’intellect, l’âme, le corps ne peuvent pas être voilés par une traduction. » Lydia, 24 ans.

 

« Forcément, en étant convertie, j’ai dû apprendre ma religion, je n’ai pas grandi avec des modèles, avec des paroles rapportées qui peuvent être vraies comme fausses. […] J’ai beaucoup lu, j’ai beaucoup appris dans les livres. Dans les premiers temps, j’ai lu et j’ai cheminé avec une autre sœur qui venait de se convertir, qui avait beaucoup de savoirs. Et par la suite, je suis devenue une petite étudiante. Je me suis inscrite en cours d’arabe pour pouvoir lire et écrire, puis en cours de sciences religieuses. [L’Islam] est une religion de science et Allah nous demande de rechercher la science, de la comprendre, de l’appliquer, de la transmettre. En fait, c’est vaste, plus tu vas en cours, plus tu te rends compte que tu ne sais rien et qu’Allah sait tout. […] Ce savoir-là fait du bien au cœur, ça fait du bien à l’âme. Ça t’aide à te réformer. C’est quelque chose dont j’ai besoin, qui me fait le plus grand bien. » Fanny, 34 ans.

 

 

 

« Soif de savoir »

 

« Allah nous a ordonné « Iqra » qui veut dire « Lis“, alors j’étudie. » Lamia, 35 ans.

 

« Depuis quelques années, je suis toujours en soif de savoir. », Sabrina, 38 ans.

 

« Je suis née dans la religion musulmane, j’ai vu mes parents pratiquants, j’ai suivi cette méthode jusqu’à maintenant. Je ne découvre pas l’Islam. Depuis petite, je lis le Coran, même si ma compréhension a changé. Petite, je ne comprenais pas, je lisais, c’est tout. On apprend sans raisonner et en grandissant, on lit en comprenant les choses et en mettant les circonstances de chaque verset, ça aide de mettre les versets dans leur contexte. Et parfois, maintenant, je trouve des différences par rapport à nos coutumes que je ne retrouve pas dans le Coran. », Hayet, 61 ans.

 

« J’ai appris le savoir religieux de la vie, on m’a dit de ne pas voler, de ne pas mentir, de ne pas faire le haram [l’interdit], de prier, de jeûner. J’ai appris par moi-même. La religion, c’est dire bonjour, s’assurer que les gens autour de toi vont bien, donner l’aumône, ma mère donnait même des pommes de terre. Ce qu’elle trouvait, elle le donnait. Le savoir religieux, ce n’est pas que la prière, c’est le bon comportement, le bon rapport avec les voisins, prendre soin des gens âgés, c’est ce que j’ai appris. », Manoubiya, 78 ans.

 

« J’ai besoin d’aller vers le savoir religieux en groupe, en sororité, de manière accompagnée, portée par le collectif. J’ai choisi d’y entrer avec et par les femmes, en lisant, en étudiant des femmes et leurs analyses. J’aime aborder ce travail à la fois spirituel et historique dans la joie. […] Je retrouve ça chez Lallab, le Lallab Agora me donne un outil pour accéder au savoir religieux avec sororité et de manière plus sereine. Je n’ose pas encore aller à la source qui est le Coran, j’y vais à travers des femmes qui ont fait un travail de recontextualisation. Elles ont eu à faire aux mêmes interrogations que moi et j’espère qu’à terme, ça me fera aller vers la source suprême, le Coran. » Nawal, 35 ans.

 

 

Sara

 

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