[Communiqué] Lallab dénonce la radicalisation islamophobe du Gouvernement

par | 10/12/20 | Communiqués

Le projet de loi « confortant les principes républicains » censé permettre de lutter contre le « séparatisme », a été transmis, mardi 17 novembre, aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le texte donne corps à nombre d’annonces sur lesquelles nous souhaitons vous alerter tant elles représentent une menace pour la démocratie et une entrave à de nombreuses libertés individuelles telles que la liberté d’expression, la liberté de culte ou d’association visées en premier lieu. 

 

C’est donc en tant qu’association féministe et antiraciste sur le terrain que nous dénonçons les dérives de ce projet de loi et souhaitons attirer votre attention sur les dangers de son application pour les droits démocratiques et fondamentaux de chacun.e. 

 

Nous dénonçons un projet de loi ainsi que des discours politiques entre autres sexistes et islamophobes qui représentent une menace pour les droits des musulman.e.s déjà lourdement discriminées sur le marché de l’emploi, dans leur accès à l’éducation et aux loisirs

 

Encouragés par des gouvernements qui changent et se ressemblent, se nourrissant avec plus ou moins de délectation des imaginaires coloniaux et racistes, les médias et politiques n’ont de cesse depuis plusieurs décennies de nous désigner comme ennemies de l’intérieur, dont les moindres faits et gestes devraient être surveillés, analysés, scrutés, allant même jusqu’à inviter chacun.e à être à l’affût de « signaux faibles de radicalisation ». Les femmes musulmanes se voient donc contraintes, pour se préserver, de redoubler d’efforts pour se conformer à des attentes intenables : renoncer à notre religion, renoncer à la vivre comme nous le souhaitons, renoncer à nos identités, à nos cultures, à nos vêtements, renoncer à vivre librement avec nos familles et nos communautés, …. 

 

 

1. Nous dénonçons un projet d’atteinte à nos libertés d’association et d’expression

 

Ce projet de loi porte une atteinte considérable à la liberté d’association et d’auto-organisation des personnes concernées par des discriminations spécifiques. En élargissant les motifs de dissolution d’une association et en conditionnant l’octroi de subvention au “respect des valeurs de la République”, le gouvernement ouvre la porte à la dissolution de toutes structures qui s’opposent à lui et portent un discours critique à l’égard de ses actions. 

Le gouvernement, par le biais de ce projet de loi, pointe du doigt toutes les associations, qui ont créé des liens de solidarité, qui ont pallié l’insuffisance de l’Etat en ouvrant des espaces de soutien à la scolarité, d’échanges culturels, d’aide alimentaire, en ayant défendu les droits des personnes discriminées à l’emploi, au logement, en luttant contre les violences policières à l’oeuvre dans les quartiers populaires…. Toutes ces associations deviennent ainsi suspectées de porter un dessein plus sombre : celui de créer du “séparatisme” en défendant les droits fondamentaux des plus vulnérables de notre société. Nous voyons surtout se dépeindre un schéma d’ingérence de nos espaces d’expression qui pourront être dissous afin d’être réinvestis par un dogme républicain assimilationniste. Mais dans une démocratie, n’est-il pas encore permis d’exprimer une opinion et critiquer les défaillances d’une loi sans tomber dans l’illégalité ?

 

Nous souhaitons également exprimer notre consternation et notre colère suite à la décision arbitraire et scénarisée du Conseil des Ministres concernant la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF).

Dissoudre un tel collectif constitue un danger sans précédent pour les droits humains et un signal d’intimidation clair envoyé à large échelle à toute personne qui  dénonce la réalité raciste et sexiste dans laquelle vivent les musulman.e.s en France. C’est la preuve irréfutable que le droit à la défense et l’accès à la justice seraient niés aux personnes musulmanes. 

Vers quelle société tendons-nous ? Celle où les droits de milliers de français.es de confession musulmane seraient inexistants, bafoués et piétinés ?

 

 

 

2. Nous dénonçons un projet d’atteinte à la laïcité telle qu’elle est définie par la loi de 1905

 

Nous dénonçons une violation de notre liberté de culte avec la fermeture arbitraire de lieux de culte et la mise en place d’une action massive contre, par exemple, 76 mosquées en France annoncées par Monsieur Gérald Darmanin. 

 

La liberté religieuse est un droit fondamental, garanti par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : “La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.” 

La laïcité est un principe de liberté qui nous permet de vivre dans une société avec nos croyances ou nos non croyances et malheureusement aujourd’hui la neutralité de l’Etat est confondue avec la neutralité des individus. 

Comme  le Conseil de L’État l’a rappelé en 2004 : la laïcité est un moyen dont la fraternité et le pluralisme sont une fin. Elle permet le vivre-ensemble dans le respect mutuel de nos différences et celui des lois de la République qui s’appliquent à chacun·e.

 

Ironie du sort ou coïncidence inopinée, Gérald Darmanin a par ailleurs annoncé cette nouvelle mesure de repression qui vise les pratiques des musulmans le jour de son audition, finalement reportée, devant les juges qui instruisent la plainte pour viol le visant. S’ériger en défenseur des libertés individuelles et donner l’ordre de contrôler les pratiques des musulmans au nom du respect des valeurs républicaines lorsqu’une plainte pour viol pèse sur sa personne est une supercherie totale. 

 

Où est donc le respect de la laïcité lorsque le président de la République et son gouvernement se mêlent des affaires religieuses et contrôle le culte musulman ? 

 

 

 

3. Nous dénonçons une loi anti islam (et non anti-terroriste) qui nie l’islamophobie et les discriminations dont sont victimes les musulman.e.s

 

 

Préparé depuis de longs mois, ce projet de loi est annoncé comme « renforcé » depuis les horribles attentats de Conflans et de Nice. Ces attentats nous révulsent, leur instrumentalisation à des fins de stigmatisation et de construction des musulmans  comme des ennemis de l’intérieur nous révoltent.

 

Par ailleurs, sur quels fondements factuels peut-on accuser les musulmans de ne pas respecter les « valeurs françaises » ?  De quelles valeurs s’agit-il ? 

 

Pour justifier l’utilité de cette loi, le gouvernement dit qu’il souhaite« contrer les groupes organisés de manière hostile et violente vis-à-vis de la République » et pallier le vide législatif qui existerait pour lutter efficacement contre cette menace. Feignant d’ignorer qu’il existe déjà un arsenal normatif puissant permettant de lutter contre le terrorisme. 

 

D’ailleurs à aucun moment les membres du gouvernement ne citeront des exemples concrets liés à la lutte contre le terrorisme pour justifier l’existence de cette loi pourtant présentée comme luttant contre l’islamisme radical.  Aucuns chiffres, aucune étude sérieuse sur la radicalisation en France, uniquement des exemples épars piqués sur les sites de la fachosphère. 

 

Par divers procédés plus inquiétants les uns que les autres, le gouvernement tend vers l’interdiction de la dénonciation de l’islamophobie. La reprise de l’article 24 du projet de loi sécurité globale est particulièrement inquiétante, car elle vise à faire taire toute critique de l’ordre républicain, en invisibilisant toujours plus la question des violences policières, en agitant la menace d’un « ennemi de l’intérieur » qui permet de tout justifier tout en occultant l’urgence de la crise sociale et sanitaire que nous traversons. 

L’article 4 prévoit aussi de sanctionner les menaces, violences ou tout acte d’intimidation exercés à l’encontre des agents chargés du service public,  « afin de bénéficier d’une exemption totale ou partielle ou d’une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service pour des motifs tirés des convictions ou des croyances de l’intéressé ». Cette nouvelle infraction sera passible de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. 

Le terme intimidation est flou ! Est ce que le fait d’envoyer plus d’un mail pourrait être considéré comme une forme d’intimidation? justifiant une condamnation pénale? Est ce que si des parents insistent pour que leur enfants mangent végétarien à l’école pourront craindre 5 ans de prison si selon la personne on pourra dire que c’est pour des raisons religieuses. Cela crée une grosse rupture d’égalité en défaveur des personnes croyantes.

 

 

 

5. Nous dénonçons un projet de loi liberticide et autoritaire 

 

Le Président Emmanuel Macron, tout comme ses prédécesseurs, a insisté à plusieurs reprises sur le fait que pour prévenir les attaques terroristes, les communautés musulmanes françaises doivent être tenues pour responsables, et être étroitement réglementées et contrôlées par le gouvernement. 

 

Ainsi, en se positionnant de la sorte, le projet de loi s’inscrit dans la lignée de celui sur le choc des civilisations, en citant des exemples de comportements perçus comme musulmans, arabes, noirs :

  • comme la polygamie qui est par ailleurs déjà condamnée par le droit français. 
  • comme les certificats de virginité, pratique ô combien sexiste et humiliante à l’encontre des femmes. Concernant la France, aucune étude nationale n’a été menée ces dernières années sur la réalité de ces tests de virginité et leur occurrence. En effet, les médecins qui ont été interrogés sur cette pratique ont laissé entendre qu’il s’agit d’environ 3 patients par an, il ne s’agit donc clairement pas d’un phénomène de masse. Compte tenu de sa faible récurrence, voire de sa quasi-absence, le gouvernement prouve une fois de plus que l’adoption d’une loi interdisant ces tests montre davantage son obsession pour le corps des femmes musulmanes que sa volonté de les protéger, car ce sont elles qui sont indirectement touchées. Nous ne comprenons pas pourquoi cette question totalement périphérique est en tête de l’agenda politique français en matière de défense des droits des femmes.

 

Ce projet de loi représente donc davantage un durcissement net de lois préexistantes dans le seul but d’exercer une autorité abusive et autoritaire sur une partie de la population déjà lourdement stigmatisée et dont les droits fondamentaux sont retirés quotidiennement.

Nous nous interrogeons donc sur cette couche supplémentaire de lois ajoutée à l’arsenal juridique déjà existant ; qu’est ce que cela traduit-il ? où cela mènera t-il ? à davantage de perquisitions ? à plus de dissolutions d’organes associatifs ? à une réduction de nos libertés d’association, de culte ? à une surveillance accrue de nos engagements ? à une société où la méfiance et la délation de sa voisine qui porte le voile seront les maîtres mots ?

 

Nous nous demandons aussi et surtout : où sont les lois, les circulaires pour défendre les droits des minorités de France et leur en assurer le plein exercice ? 

 

Nous souhaitons un droit à l’éducation pour les femmes musulmanes.  Celles qui portent le foulard sont régulièrement invitées à quitter les rangs des salles de cours des universités, par un personnel enseignant islamophobe. Plusieurs épisodes d’une telle violence se sont déjà produits dans les universités françaises. Alors, que les femmes musulmanes qui portent le foulard sont exclues et marginalisées dans les institutions d’éducation publique, ce projet de loi vise en plus à supprimer leur possibilité d’instruction à domicile. Pour nous, il serait judicieux que le gouvernement français se penche davantage sur le problème de l’exclusion dont souffrent les femmes musulmanes dans les écoles françaises. 

 

Nous souhaitons également chez Lallab que l’accès à des activités de loisirs soit égalitaire pour toutes et tous. Nous soutenons le droit de pouvoir pratiquer des activités de loisirs sans exclusion et apportons notre soutien à toutes les initiatives qui ont pour objectif de lutter contre l’intolérance et l’exclusion des femmes musulmanes qui portent le voile​ des piscines, des salles de sport et pour un accès au sport pour toutes. 

 

Nous souhaitons au sein de Lallab créer une société où les femmes musulmanes puissent retrouver leur pouvoir d’agir sur leur vie personnelle mais aussi professionnelle. Selon une étude de l’ENAR, seulement 1% des CV des femmes qui portent le voile reçoivent une réponse positive. Ce texte qui vise à étendre l’obligation de neutralité religieuse à des salariés de droit privé, et prétendant, ce faisant, promouvoir l’égalité, grave dans le marbre les discriminations à l’égard des personnes croyantes, notamment celles qui portent des signes visibles de religiosité et qui seront encore davantage marginalisées sur le marché de l’emploi.

Les personnes salariées pour des délégataires du service public risqueront le licenciement si elles ne s’astreignent pas à une obligation de neutralité. Si vous voulez obliger les salarié.e.s précaires du service public à respecter les mêmes règles que les fonctionnaires ; le plus judicieux serait de leur offrir le statut protecteur de fonctionnaire, car précariser des travailleurs et travailleuses n’a jamais permis de lutter contre l’exclusion sociale, ni le terrorisme.

 

Nous souhaitons chez Lallab que le droit de disposer de l’espace public sans être attaqué soit une réalité pour toutes. Or en France 70% des actes islamophobes visent les femmes musulmanes selon le rapport 2020 du CCIF. Ces dérives politiques qui construisent de toute pièce “un problème musulman” ne font qu’augmenter la méfiance de l’opinion publique envers les musulman.e.s, alimentant ainsi les agressions physiques ou le harcèlement à leur égard dans l’espace public. 

Etre une femme musulmane aujourd’hui en France, c’est porter sur ses épaules, dans son corps et dans sa tête, le poids d’une multitude d’oppressions violentes et continues, qui produisent des effets sur chaque aspect de nos vies. Les discriminations sexistes, racistes et islamophobes systémiques impactent la santé mentale des femmes musulmanes. 

Les femmes musulmanes sont précarisées, constamment observées et jugées. Cet état d’alerte permanent, cause maladies et traumatismes. Combien d’entre nous souffrons de dissociation, haine de soi, isolement social, dépression ? Combien d’entre nous sont accablées par des charges mentales, émotionnelles et raciales telles qu’elles impactent chaque dimension de nos vies ? Des charges que nous peinons à identifier et dont nous n’osons pas parler ?

Encore une fois, les femmes musulmanes sont donc prises en otage par des institutions politiques desquelles elles sont de facto exclues. 

 

 

 

CONCLUSION :

 

Aujourd’hui, nous appelons nos élu.es à s’élever contre cette proposition anticonstitutionnelle.

 

  • Nous dénonçons un projet d’atteinte à nos libertés d’association et d’expression  
  • Nous dénonçons un projet d’atteinte à la laïcité telle qu’elle est définie par la loi de 1905
  • Nous dénonçons une loi anti islam (et non anti-terroriste) qui nie l’islamophobie et les discriminations dont sont victimes les musulman.e.s
  • Nous dénonçons un projet de loi liberticide et autoritaire 

 

 

Quels intérêts ce projet de loi sert-il ? A rassurer la fange électorale extrême-droitiste en donnant du crédit à leurs discours de haine et des préjugés contre les musulman.e.s. ? Pour montrer fièrement des gros chiffres annonçant que le gouvernement a permis la fermeture de lieux associatifs. Nos lieux associatifs, nos lieux de vie, de rencontre, de solidarité que vous voulez détruire, silencier ?

 

Nous sommes la république, nous sommes la France, nous incarnons les valeurs Républicaines de fraternité, de solidarité et de liberté bien mieux que ne le fait le gouvernement avec ce projet qui tue les libertés fondamentales, et casse les solidarités. 

 

Nous nous inquiétons que ce texte permette la répression de toutes les minorités religieuses ; les musulman.e.s bien évidemment visé.e.s par le texte, mais aussi nos frères et nos sœurs juif.ves, chrétien.e.s protestant.e.s, sikhs, bouddhistes… 

 

Quoiqu’il en soit, ce projet de loi représente une menace pour toutes les citoyennes et tous les citoyens en France : si vous êtes musulman.e, cette loi vous stigmatise et renforce les stéréotypes mortifères contre vous. 

Si vous n’êtes pas musulman.e, cette loi présente un danger pour vos libertés et pour la République. 

 

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