Comment j’ai réussi à porter le voile

par | 17/01/18 | Nos Voix

 

Je me regarde dans la glace, essayant pour la énième fois de reproduire un tuto hijab vu sur le net – en vain. Un instant de déconcentration, et je manque de m’embrocher le crâne avec une épingle à foulard. Un peu plus et je me retrouvais avec le QI de Manuel Valls. C’est en accomplissant ce rituel quasi journalier que je me rappelle toutes les étapes par lesquelles je suis passée avant de pouvoir enfin porter mon voile.

 

 

Mon histoire avec le foulard

 

Quand j’étais plus jeune, je me voyais déjà porter le voile à l’âge adulte. C’était pour moi un habit de « grande personne », un peu comme quand on veut porter les chaussures de sa mère quand on est petite fille. Je ne percevais pas encore le message derrière cette pratique.

 

 

Vers le milieu des années 2000, à l’époque de l’interdiction du foulard à l’école, on me répétait à l’école que le racisme et les discriminations en tout genre disparaitraient avec le temps. Et j’y ai cru. Quand je serai plus grande, les gens auront accepté le foulard, me disais-je. Mais les années passèrent et il n’en fut rien.

Au collège, je n’avais pas encore accompli le cheminement spirituel qui allait m’amener à porter le voile, mais quelque chose me dérangeait dans le fait de voir mes camarades se découvrir en entrant dans la cour d’école. Les surveillant·e·s les harcelaient et leur couraient littéralement après si elles n’obéissaient pas assez vite.

A l’entrainement, notre coach de basket-ball nous disait de former un groupe soudé et de « laisser nos problèmes au vestiaire ». J’avais la même impression en voyant ces filles ôter leur foulard, qu’on leur demandait de « laisser leur problème » à l’entrée de l’établissement.

Quand on sait ou on imagine la signification de ce foulard pour ces jeunes femmes, on comprend la violence que c’est de voir celui-ci relégué au rang de problème.

Au lycée, je me suis plus sérieusement intéressée à la question. Je ne parlerai pas ici des textes religieux qui ont bien sûr eu un poids dans ma décision, mais plutôt de ce qui m’a plu dans le concept du foulard.

Je me suis toujours plus souciée du fond que de la forme, comme peuvent en témoigner mes dictées catastrophiques de l’école primaire et mon gâteau au chocolat de la semaine dernière, délicieux mais ô combien laid. Avec les années, je me suis détachée des apparences qui me paraissent aujourd’hui futiles. Vous en apprenez bien plus sur moi et ma façon de penser en lisant cet article qu’en me voyant sans mon foulard.

Le plus important quand on apprend à connaitre quelqu’un, c’est son caractère, son comportement, ses qualités – et je ne me voyais pas faire passer mon physique avant tout cela.

J’ai également pris confiance en moi, j’aime mon corps et c’est justement pour ça que je n’ai pas besoin du regard des gens pour me rassurer. Dans notre société, on est encouragé·e·s à montrer notre corps quand il entre dans les critères de beauté actuels et on est autorisé·e·s, voire fortement incité·e·s à le cacher quand on a des complexes et que l’on ne correspond pas aux critères de beauté normatifs… Parce qu’être gros·se sans complexes, ce n’est pas possible, n’est-ce pas ?

Ma conviction est qu’un être humain a tout-à-fait le droit de montrer ou de cacher son corps selon son bon vouloir et que cela ne dit rien sur la personnalité de cette personne, si ce n’est qu’elle est libre de ses choix.

 

Une prise de conscience

 

Au moment où j’ai réellement commencé à réfléchir à la question, plusieurs femmes voilées faisaient leur apparition sur YouTube, Instagram, et certains blogs. Elles m’ont permis de comprendre qu’on pouvait être voilée et trouver sa place dans un pays occidental et apporter quelque chose à la société. De la britannique Nabila Bee aux blogueuses américaines que je suivais sur Tumblr en passant par la youtubeuse marseillaise Asma Fares, chacune de ces femmes me montrait tout ce que j’étais capable de faire tout en étant voilée.

A partir de là, j’étais à un stade de mon cheminement spirituel où j’étais convaincue que je voulais porter le voile. Mais quelque chose bloquait encore, ce sentiment que si j’attendais, tout irait mieux. Je ne voulais pas enlever mon foulard à la porte du lycée, je ne voulais pas me faire dégager d’un amphi bondé, ni m’entendre dire à un entretien d’embauche que je devrais être tête nue pour pouvoir travailler, je ne voulais pas non plus me faire insulter dans la rue et sur les réseaux sociaux, ou être renversée par une voiture à cause de ce que je suis. Je refusais qu’une ministre profite du fait que je ne puisse pas me défendre publiquement pour m’insulter et tenir des propos négrophobes et négationnistes, ni qu’on me compare à une nazi à la télévision

Non, je ne voulais rien de tout cela, alors j’ai attendu et les mois se sont transformés en années. Un jour, j’ai compris. Le chant du rossignol, qui annonçait les relents nauséabonds des années 30 plutôt que l’arrivée du printemps, m’a réveillée. Quand l’argumentaire des politiques a changé, j’ai véritablement cessé de croire qu’avec le temps, la société nous accepterait d’elle-même. Cela fait des années que l’on voit des femmes musulmanes sportives, artistes, entrepreneuses, journalistes, médecins, avocates, ingénieures et j’en passe, clamer qu’elles ont décidé quoi porter. Il était de plus en plus difficile de faire croire aux esprits les plus critiques que nous sommes toutes des femmes oppressées.

Qu’à cela ne tienne, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Si ce n’est pas ton frère, c’est donc toi, l’activiste de l’islam politique. Je dois avouer que c’est bien trouvé : si les politiques avaient autant d’inventivité pour résoudre les problèmes des Français·es que quand il s’agit de nous coller une étiquette infâme sur le dos, on aurait un taux de chômage à 0%.

Suite à cela, j’ai décidé de porter le turban. J’ai eu droit à quelques remarques quant au fait que je n’étais peut-être pas assez pieuse pour porter le foulard. Je n’en ai pas tenu compte car je ne pense pas qu’il faille autre chose que l’envie de devenir meilleur·e pour vouloir se rapprocher de Dieu.

Le 6 juillet 2016, j’ai mis un voile sur ma tête pour aller à la mosquée pour la prière de l’Aïd el Fitr (fête célébrant la fin du Ramadan) et je ne l’ai pas ôté depuis.

Cela fait maintenant 1 an et demi que je porte mon voile, le sol ne s’est pas effondré sous mes pieds. J’ai des anecdotes assez spéciales… Mais je les garde pour un futur article ! Vous ne pensiez tout de même pas que j’allais tout vous dire maintenant, si ?

Aujourd’hui, je suis heureuse de mon choix et je ne le regrette en rien, car je suis fidèle à mes convictions et je sais que je fais cela pour moi et pour Dieu.

La prochaine fois que vous voyez une femme voilée dans la rue ou sur internet, ne pensez pas la connaitre juste à cause de tout ce que vous avez vu et entendu dans les médias, nous avons chacune notre histoire et nos épreuves, nos joies et nos peines, malgré la foi qui nous lie.

 

 

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