10 anecdotes qui prouvent qu’enlever mon hijab ne me débarrasserait pas des préjugés

par | 15/12/16 | (Dé)construction

On me dit régulièrement que si j’en ai marre des discriminations, je « n’ai qu’à » enlever mon foulard. Ah ben oui, c’est une super solution, d’ailleurs les Noirs n’ont qu’à devenir blancs et les homos n’ont qu’à devenir hétéros. Au-delà de cette aberration, même si je pourrais techniquement enlever mon hijab, il est naïf de penser que cela suffirait pour être débarrassée des préjugés.
Le jour où j’ai commencé à porter le hijab n’a en effet pas été le début de mes déboires. En témoignent ces anecdotes, qui sont loin d’être exhaustives, mais ont toutes le point commun de m’être arrivées avant que je porte le hijab. Bref, bienvenue dans la vie d’une jeune femme maghrébine en France.

 

1. Les questions pour savoir si mon père était « sympa »

Dis, Emnus… J’ai récemment lu « Mariée de force » et « Brûlée vive ». Du coup je me posais une question … Ton père, il est sympa quand même ?

Lui, il est très sympa. Moi par contre, je risque de l’être un peu moins.
 
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2. Mes profs ou collègues qui confondaient mon prénom avec celui de l’autre fille maghrébine

Vous savez, celle qui ne me ressemblait pas du tout, avait une personnalité et un comportement aux antipodes des miens, et un prénom totalement différent.

C’est quand même fou de réussir à différencier des centaines de lycéen.ne.s aux noms et aux looks similaires, mais de ne pas distinguer les DEUX filles avec des cheveux noirs bouclés et un prénom qui a tout au plus le A final en commun.

 

3. L’impression de venir du pays d’Aladdin

Alors, tu viens d’où, en fait ? D’Arabie ?

[Là je me rends compte qu’elle ne se fout pas de moi et qu’elle est sérieuse.]

« Mmh en fait, « l’Arabie », ça n’existe pas. Au mieux tu as l’Arabie Saoudite, mais c’est UN pays parmi plein d’autres. Moi, je viens de Tunisie.

– Ah … Alors, euh… Vous parlez quelle langue, là-bas ? Le tu…ni…sien ? »

La réponse, c’est l’arabe, mais franchement, j’ai peur que ça t’embrouille encore plus.

« Excuse-moi, je voudrais envoyer une photo de cette calligraphie arabe à mes amis. Tu peux me montrer le drapeau du pays où on parle arabe ? »

 

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Ben c’est pas compliqué, c’est l’Arabie. C’est un immense et merveilleux désert, où la danse du ventre vous hypnotise, où on achète les femmes contre des chameaux, et où on se déplace en tapis volant. C’était un peu trop compliqué de distinguer la quinzaine de pays arabes, alors ils ont décidé de se réunir en un pays unique. Ils font des vols directs vers Agrabah, tu devrais y aller, c’est une ville sympa.

 

4. La fille à la fac qui m’a demandé de quel pays je venais pour mon semestre d’échange

« Alors, t’es en échange universitaire ? Tu viens d’où ?

– Euh… Non, je suis pas en échange, je suis française.

– Ah bon, t’es pas une étudiante internationale ? Je croyais… T’es née en France alors ? [Vas-y, cache ta déception.]

– Non plus.

– Ah ! [Elle retrouve son intérêt et réfléchit.] Donc … tu t’appelles Emnus, t’es pas née en France, mais tu te définis comme Française ? C’est intéressant, ça !»

Seriously ? C’est plutôt moi qui devrais t’emmener dans mon labo pour étudier un cas pareil.

 

5. Ma correspondante mythomane qui disait que je la forçais à jeûner pendant Ramadan

Et mon lycée qui ne s’est pas senti obligé de vérifier sa version, ni même de me prévenir que j’étais désormais exclue de tous les échanges futurs. Bande de navets atrophiés (ouais, je suis comme ça, moi, faut pas me chauffer).

 

6. Certains mecs avec des conceptions pour le moins… intéressantes

« Jasmine », « princesse orientale », « gazelle du désert »… Il paraît que ça se veut flatteur. Sauf que quand le reste du discours révèle surtout une envie de rajouter une conquête exotique à leur tableau de chasse, merci mais non merci.

« Tiens, j’ai jamais eu de copine arabe ! »

 

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Cool ta vie, mais je ne suis pas une case à cocher sur une liste d’ethnicités pour dire « une Arabe : check », donc va chercher ailleurs.

Parfois, le fait d’être issue de parents mixtes me réservait aussi de jolies surprises. Comme ce mec qui m’a abordée en pensant que j’étais Italienne. Quand je lui ai révélé l’effroyable vérité, il m’a dit avec le sourire du capitaine Crochet : « Ah ouais, okay… J’ai voté FN, tu sais ».

Cool, on peut être Roméo et Juliette, alors ?

 

7. Les gens qui débattaient sans cesse pour savoir si j’avais l’air arabe ou non

Non mais ça va, toi t’es pas trop typée !

Euh… Pourquoi tu le dis sur le ton d’un compliment ?

 

8. Les gens qui croyaient déjà toutes les bêtises que je racontais

Mon grand classique, c’est de dire que j’ai égorgé un mouton dans ma baignoire. Et si je suis vraiment en forme et que mon interlocuteur.trice est crédule, j’ajoute que je me suis fait un gilet avec la peau. C’est un bon baromètre pour savoir si la personne en face de moi a déjà rencontré des musulman.e.s ou si sa seule source d’informations est BFM. Depuis que je porte le hijab, autant vous dire que je m’en donne à cœur joie avec mes histoires de Cosette.

 

9. Les gens (et oui, encore eux) qui imaginaient un destin assez linéaire pour moi

Alors toi, à la fois ch’ti et arabe, tu vas te marier avec un cousin, c’est sûr ! 

Attends, je dois reprendre mon souffle tellement j’ai rigolé. Mais je t’assure, Ryan Gosling et moi n’avons aucun lien de parenté.
 
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10. Les vigiles qui me tenaient compagnie dans les magasins

Il y a l’énième fois où les vendeuses dans un magasin de cosmétiques étaient trop occupées à me suivre pour voir la blonde bourgeoise en train de glisser du mascara dans sa poche. La fois où, dans une grande librairie, le sentiment d’être regardée m’a brusquement fait relever la tête du livre que je feuilletais, pour rencontrer le regard du vigile qui m’observait tranquillement, accoudé sur la rampe d’escalier. La fois où j’ai été incroyablement soulagée de découvrir que l’homme qui me fixait dans les miroirs du magasin et se cachait entre les rayons pour me suivre n’était pas un psychopathe qui allait me violer dans une cabine d’essayage, mais un agent de sécurité en civil (sécurité, c’est exactement le mot qui reflétait mon sentiment).
 
A l’époque, je crois que je me disais : « De toute façon, même si je décide de porter le foulard, j’ai déjà droit à ce genre de bêtises, et toutes les autres. Qu’est-ce qu’il pourrait y avoir de plus ? »

Eh bien maintenant, je peux le dire : il peut y avoir beaucoup, beaucoup plus !

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