Victime de violences conjugales : nommer et agir.

par | 25/11/22 | (Dé)construction, Actualités

En regardant les images de victimes de violences conjugales choisies pour illustrer cette thématique dans les médias, vous n’en voyez que des visages tuméfiés, défigurés, balafrés…. Et si vous ne correspondez pas à ces images, vous vous dites peut-être : « je souffre, mais pas assez, pas autant que ces autres femmes, je ne suis donc pas totalement légitime à demander de l’aide et à en recevoir ».
Cette violence peut être invisible, cette violence peut être banalisée ou minimisée par votre entourage qui va vous expliquer que tous les maris sont jaloux ou peuvent s’emporter.
Cette violence pourra être romantisée ou normalisée, dans une société où l’amour passionnel est souvent présenté comme synonyme de disputes, de jalousie et d’effusion.
Si vous êtes un homme, ou si vous n’êtes pas dans un couple hétéro, vous ne vous sentez peut être même pas concerné.e par cette thématique.
Toutefois, si vous êtes en souffrance, en raison des agissements de votre partenaire, vous êtes probablement victime de violences conjugales. Qu’iel vous ai frappé ou non, que vous soyez un homme ou une femme, que ces comportements soient quotidiens, ou ponctuels, peu importe, vous êtes légitime à vous qualifier de « victime de violences conjugales ».
Voici 6 comportements parmi les plus fréquents mis en œuvre par un.e conjoint.e violent.e.

1. Une jalousie obsessionnelle

Votre partenaire ne cesse de vous traquer, de vous questionner, de vous harceler de questions par peur que vous le trompiez ? C’est une forme de violence.
Si iel exige que vous preniez des photos de l’endroit où vous êtes pour y « confirmer » votre présence, regarde à votre insu votre correspondance privée, vous fait le reproche d’être trop « sexy » et de chercher à dessein à attirer l’attention et le désir sur vous, vous reproche d’adresser la parole ou d’être en contact avec d’autres personnes, vous demande de mettre un terme à certaines amitiés, de ne plus côtoyer vos ancien.ne.s partenaires etc… Cela signifie qu’iel vous considère comme sa possession, ce qui n’a pas grand-chose à voir avec l’amour.

2. La culpabilisation et la punition par le silence (silent treatment and punishment)

Votre partenaire prend plaisir à vous punir pour votre comportement en vous ignorant pendant des heures, voire des jours. Si iel estime que vous avez fauté, iel vous punit : en vous interdisant de sortir, en vous rabaissant devant vos proches, en vous criant dessus, en cherchant à vous humilier. C’est une violence.

3. Le « détournement cognitif » ou gaslighting

Votre partenaire refuse de rendre des comptes pour son comportement, pire, vous en impute la responsabilité. Si iel a « pété un cable », ce serait de « votre faute », et dès que vous tentez de lui expliquer que ce qui s’est passé n’est pas normal, iel vous reproche votre sensiblerie, « c’est pas le monde des bisounours ici ». Ce serait donc vous qui auriez un problème à ne pas apprécier qu’iel crie car selon lui, iel ne fait que « parler fort ».
Pire, iel modifie la réalité, réinvente ses faits et gestes en sa faveur, nie farouchement l’existence de faits passés, au point de vous faire douter de vous, de vos souvenirs, de vos sensations et sentiments. c’est qu’iel tente de vous manipuler. C’est une violence.

4. Un climat anxiogène

Votre partenaire a instauré un climat de violence permanente, iel crie, iel hurle, vous avez toujours peur que tel ou tel événement déclenche chez lui/elle une colère soudaine. Cela lui arrive de casser des objets, de montrer le poing, de vous postillonner au visage, de vous laisser dormir par terre, ou nue. Certes, iel ne vous a pas encore tapé, cependant, iel a su vous montrer qu’iel était capable de le faire à tout instant.
A tel point que la nuit, vous pouvez avoir peur qu’iel vous tue.

5. Le chantage

Iel a des informations compromettantes à votre sujet (vous avez retiré votre voile, vous avez pris des drogues, vos pratiques sexuelles, des photos intimes…), et les utilise comme moyens pour vous empêcher de lae quitter.
Iel peut également vous menacer de faire du mal à vos proches, de vous prendre les enfants, si vous décidez de lae quitter définitivement.
Autre forme de chantage courante : il vous menace de se suicider si vous lae quitter et précise que vous aurez sa mort sur la conscience si vous partez.

6. Le refus de rendre des comptes

Votre partenaire vous parle parfois de son passé douloureux qui l’a conduit à agir de la sorte, et vous ne pouvez que compatir aux épreuves qui l’ont brisées par le passé. Cependant, si iel refuse de se faire aider ou pire, si iel fait semblant de l’être c’est qu’iel a fait le choix de continuer d’être violent. Il en va de même si iel vous répète souvent qu’iel va changer, qu’iel s’excuse, et que vous devez « tourner la page » sans rien mettre en œuvre pour changer effectivement de comportement.

Comment vous sentez-vous ? Si vous êtes angoissé.e à l’idée de rentrer à la maison, si vous rêvez de partir, mais que vous vous êtes terrorisé.e à l’idée qu’iel se venge d’une manière ou d’une autre sur vous. Si vous tremblez de peur à l’idée de lae quitter, ce n’est pas normal : vous êtes dans une relation toxique et victime de violences conjugales.

Comment agir pendant les violences ?

Lorsque vous êtes pris.e dans le tourbillon des violences, il n’est guère aisé d’avoir les idées claires pour agir et anticiper l’action judiciaire.
A ce stade, et tant que vous n’êtes pas encore prêt.e à partir, vous pouvez collecter des preuves qui pourront vous être utiles dans vos démarches futures.

  • –   Si cela vous est possible, filmez-lae ou enregistrez-lae à son insu lors d’une de ses crises de colère.
  • –   Débriefez par message chaque épisode de violence : envoyez-lui un message un le lendemain pour lui rappeler ce qu’il s’est passé, et pourquoi ce n’est pas normal.
  • –   Parlez-en à une personne, si possible par message, qui pourra témoigner des violences que vous subissez. Si vous n’avez pas envie de parler de votre situation avec des proches ou que vous n’êtes pas prêt·e, il existe des numéros de téléphone utiles.
  • –   Si vous n’êtes pas encore prête à porter plainte, par peur des représailles, vous pouvez également déposer des mains courantes.
  • –   Laissez un sac de vêtement chez un.e proche, qui sera au courant de la situation, et qui pourra vous accueillir à toute heure du jour ou de la nuit.

Connaître ce qui est illégal avant de porter plainte

Pour commencer, sachez que vous êtes en droit de porter plainte auprès de n’importe quel commissariat, et que les policier.e.s n’ont – en théorie – pas le droit de refuser de prendre vos plaintes.
En pratique, c’est une toute autre histoire, et vous avez de grands risques de devoir affronter des policier.e.s qui vous dissuaderont de porter plainte en vous expliquant que le comportement de votre conjoint n’est pas interdit par la loi, que vous ne pouvez pas porter plainte dans ce commissariat pour des raisons de domiciliation ou que vous feriez mieux de déposer une main courante. Tenez bon, et si possible, venez accompagné.e, c’est votre droit (art. 10-4 et 10-2 CPP)
A ce sujet, vous pouvez également demander à être soumis à un examen médical, et à vous voir remettre les conclusions de cet examen.

Si votre conjoint.e consulte, supprime, modifie vos mails et messages sans votre accord, c’est un délit sanctionné aux articles 323-1 et suivant du code pénal.

Si votre conjoint.e a révélé des informations concernant votre intimité, votre sexualité, ou pire, a diffusé des images dénudées de vous, une sex tape, vous a enregistré à votre insu ou vous géolocalise en permanence, c’est un délit sanctionné à l’article 226-1 et 226-2-1 du code pénal.

Si votre conjoint.e, a un tel comportement toxique comme nous l’avons décrit plus haut, au point que cela affecte votre santé mentale : vous êtes dans un état de peur et d’hypervigilance permanente, alors vous êtes victime de « harcèlement » au sens de la loi. Vous pouvez donc faire constater la dégradation de votre santé auprès d’un psychiatre, condition nécessaire pour porter plainte sur ce fondement : article 222-33-2-1 du code pénal.

Si votre conjoint.e vous a poussé au désespoir de par son harcèlement au point que vous ayez tenté de vous suicider : article 222-33-2-1 du code pénal.

Si votre conjoint vous a volé des biens, de l’argent, il est fort probable que les policier.e.s vous explique que ces vols ne peuvent donner lieu à des poursuites. Sachez que ce principe connaît de nombreuses limites, notamment si vous étiez séparé.e.s au moment des vols, ou si ces vols portent sur des documents indispensables à la vie quotidienne de la victime, tels que des documents d’identité, relatifs au titre de séjour ou de résidence d’un étranger, ou des moyens de paiement ou de télécommunication : article 311-12 du code pénal.

Si votre ex conjoint.e s’est introduit chez vous sans votre accord, notamment en usant de la violence ou des menaces : art. 226-4 code pénal.

Les dispositions judiciaires qui peuvent vous protéger

Attribution à la victime de violences conjugales d’un droit de jouissance sur le logement commun

Depuis la loi du 30 juillet 2020 lae juge aux affaires familiales (JAF) peut attribuer la jouissance du logement conjugal, (sauf circonstances particulières), au conjoint.e qui n’est pas l’auteur.e des violences, et ce même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence (C. civ., art.  515-11, 3°). La solution est identique s’agissant du logement commun de partenaires lié.es par un PACS ou de concubin.es (C. civ., art.  515-11).

Ordonnance de protection

Il vous est également possible de demander une ordonnance de protection auprès du JAF en formulant cette requête via ce formulaire, accompagnée de toutes les preuves que vous avez en votre possession afin que votre conjoint.e reçoive l’ordre de ne plus vous approcher, vous, ou vos enfants.
Lae juge pourra désormais demander la mise en place d’un bracelet électronique ou vous donner un « téléphone grand danger » vous permettant d’alerter au plus vite les services de police si votre bourreau menace votre vie.

Bien sûr, nous savons que réussir à quitter son bourreau est des plus difficile, car il/elle a tout mis en œuvre pour vous garder captive/captif : chantage, menaces de révéler des informations sur vous, vos proches, de se suicider ou de vous prendre vos enfants, isolement, travail minutieux pour détruire votre confiance en vous, sont autant de stratégies mises en œuvre pour vous empêcher de partir. Ce n’est pas de votre faute, vous n’êtes pas responsable et vous ne méritez pas les violences que vous subissez.

En moyenne, une femme effectue 7 tentatives avant de réussir à quitter définitivement son conjoint violent.

Ne considérez jamais qu’une tentative ratée est un échec, c’est au contraire une étape importante vers une future libération.

Enfin, nous rappelons que la moitié des féminicides interviennent pendant l’annonce d’une rupture, en conséquent, nous vous recommandons de procéder à votre départ – si possible – en l’absence de votre conjoint.e violent.e.

Vous avez tout notre soutien, et notre amour. Nous vous croyons, et nous vous soutenons.
Crédit photo à la une : @Shirin Neshat