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Finissons-en avec le tabou autour des règles pendant (et après !) le Ramadan

Force est de constater que les règles constituent encore un tabou très important, d’autant plus pendant le mois de Ramadan, durant lequel les personnes menstruées s’abstiennent de jeûner. Des confins du web aux témoignages partagés par d’autres Lallas en passant par ceux de ma famille, tout confirme une chose : les idées reçues et les oppressions liées à la menstruation au sein de la communauté musulmane perdurent. Et il est grand temps que ça s’arrête.

Premier tabou : la nature du sang menstruel elle-même. Celui-ci est un grand classique, véhiculé non seulement par notre environnement immédiat mais aussi par la société dans son ensemble. Les règles, c’est sale et impur. C’est du sang, oui, mais pas n’importe lequel. C’est celui d’un corps dont on ne se prive jamais de questionner la pureté le reste du temps. Il n’est donc pas étonnant de trouver moult interprétations misogynes de certains textes religieux afin de renforcer cette idée (par exemple : « on ne peut pas toucher le Coran quand on a ses règles car c’est non-hygiénique »). La religion est ainsi, comme souvent, instrumentalisée à des fins sexistes qui maintiennent les femmes dans une position d’infériorité vis-à-vis de leurs homologues masculins.

À cause de ces idées, nombreuses sont les personnes menstruées qui se retrouvent mises à l’écart pendant le Ramadan. Elles sont souvent exclues des mosquées et des rituels d’adoration pendant la période la plus sacrée du calendrier islamique. Je connais des femmes qui préfèrent éviter ces lieux pendant la durée de leurs règles, par peur de devoir se justifier sur la raison pour laquelle elles ne prient pas. Et ce, bien que l’abstention du jeûne et de la prière soient probablement toutes deux des autorisations octroyées en raison de notre condition physique souvent affaiblie par la menstruation, plutôt que des interdictions liées à un manque d’hygiène présumé.

 

Cachez cette chose que je ne saurais voir

Pire encore, certain.e.s d’entre nous ont intériorisé les messages du patriarcat par peur d’heurter la sensibilité des hommes. Pendant le Ramadan, de nombreuses personnes menstruées s’infligent une gymnastique sociale des plus habiles pour éviter de révéler qu’elles ont leurs règles, plus particulièrement aux hommes qui les entourent.

Qui d’entre nous n’a pas déjà caché avoir ses règles à ses homologues masculins pendant le Ramadan ? Qui n’a pas déjà fait mine de jeûner toute la journée pour éviter d’être « démasqué.e », malgré avoir été en droit de manger ? Qui n’a pas été se cacher dans une pièce ou un coin de la maison pour manger sans être vu.e ? Qui n’a pas été jusqu’à mentir à ses collègues ou à sa famille quant au fait de ne pas jeûner, pour éviter de dévoiler son intimité au grand jour ?

 

 

Les exemples sont malheureusement non exhaustifs. Il y a quelques années, une ancienne connaissance m’a même avoué avoir prétendu prier le Taraweeh derrière son père, un soir de Ramadan, pour éviter de lui admettre qu’elle avait ses règles. Les extrêmes jusqu’où nous sommes prêt.e.s à aller pour préserver les hommes de la réalité « horrible » d’un fait biologique pourtant naturel sont incroyables. Ceci perpétue une misogynie assourdissante qui veuille que tout ce qui représente la féminité doive être occulté et invisible. Qu’être une femme, c’est prendre le moins de place possible tant au sens littéral qu’au sens figuré.

C’est là que la culture entre en jeu. La « hchouma » au Maroc, aussi parfois qualifiée de « 3aib », est un terme utilisé comme qualificatif pour désigner un acte ou comportement honteux et/ou qui manque de pudeur. Historiquement, ce terme a été utilisé à tort et à travers pour ostraciser les femmes et leur sexualité. Parler des règles, comme bon nombre d’autres phénomènes qui touchent beaucoup de femmes, rentre d’ailleurs dans cette définition – c’est un acte inapproprié. Il s’agit donc de quelque chose que l’on préfère cacher plutôt que reconnaître, faute de quoi la stigmatisation serait accablante. Ce n’est donc pas une surprise que, pour éviter de subir le poids d’un jugement moral intransigeant – voire d’une forme de suicide culturel et social – certain.e.s préfèrent rester silencieuses par rapport à leur menstrues.

Le problème, c’est que ce silence occulte la réalité des personnes pour lesquelles les règles riment avec douleur et précarité. C’est en ouvrant le dialogue autour de cette thématique que l’on pourra sensibiliser et éduquer nos communautés au sujet d’enjeux de santé qui touchent un bon nombre d’entre nous pendant cette période, comme l’endométriose, le syndrome polycystic d’ovaire (PCOS) ou encore le syndrome pré-menstruel, pour n’en citer que certains.

À chaque fois que nous nous insurgerons contre ce silence imposé, à chaque fois que nous ferons savoir au monde qu’avoir ses règles n’est pas quelque chose d’honteux, nous étendrons le champ de communication qui s’offre à nous. Et, ce faisant, nous permettrons de renforcer un lien de solidarité infaillible non seulement entre personnes concernées, mais aussi entre croyant.e.s. Parce qu’on en a assez de devoir se cacher, de se justifier et de culpabiliser. Mais aussi parce que le poids des attentes sociétales et culturelles ne doit en aucun cas être une charge mentale qu’on doive soulever seul.e.s.

Crédit photo image à la une: Cactus Creative Studio

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Femmes musulmanes et santé mentale

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Au moment délicat de la transition entre l’adolescence et l’âge adulte, j’ai eu un moment de remise en question et de mal-être. Je me sentais un peu perdue dans mon identité. J’étais comme déchirée entre deux univers qui semblaient ne jamais vouloir se rejoindre. J’avais d’une part mon quotidien de jeune fille musulmane, élevée dans une famille très pratiquante et spirituelle et de l’autre, ma vie d’étudiante en histoire de l’art. En dehors de mon cercle familial, je ne côtoyais aucun musulman. Pas par choix, uniquement parce que je n’en avais pas autour de moi au lycée ou à la fac. Mon identité musulmane relevait donc uniquement du domaine du domestique et du cercle familial, elle ne rejoignait pas mon identité “politique”. J’utilise le terme politique non pas pour sa notion d’engagement, mais plutôt pour son étymologie grecque : la polis, la cité, soit l’identité que l’on projette dans la société.

 

Je ne cachais pas ma foi musulmane, tout le monde était bien sûr au courant, j’en parlais quand c’était à propos ou qu’on me questionnait, sans plus. N’étant ni racisée, ni ne portant le voile, j’avais un bon “passing”. J’utilise cette terrible expression propre à la transidentité car elle témoigne bien de l’obsession qu’a notre société à vouloir gommer ce qui lui semble hors norme. Si je me permets ce parallélisme un peu douteux, c’est que l’on m’a déjà répondu en apprenant que j’étais musulmane : “Ah bon ?! Mais ça se voit pas !”.

 

Sur les conseils de notre médecin de famille, une femme musulmane, je suis allée voir un psychologue qu’elle m’a recommandé. Un homme blanc, la cinquantaine et athé. Je réalise maintenant à quel point cette entreprise était périlleuse. Comment pouvait-il vraiment me comprendre et se mettre à ma place ? Ce n’est pas pour rien qu’il y a des psychologues spécialisés dans le multi-culturalisme.

 

Lors des premières consultations, je lui parlais de certains aspects de l’éducation musulmane traditionnelle dans lesquels je ne me reconnaissais pas et qui me pesaient lourdement. Je ressentais également énormément de culpabilité envers mes parents. Je trouvais en effet leur foi et leur piété exceptionnelles et j’avais honte de ne pas être à leur niveau, de ne pas ressentir toujours ce même élan spirituel. Je ne réalisais pas alors que la foi n’est pas forcément innée et qu’elle peut même être la quête de toute une vie.

 

Je confiais donc à ce psychologue ma difficulté à me positionner en tant que jeune adulte, avec une identité musulmane qui semblait ne pas trouver sa place à l’extérieur. Je ne me souviens pas vraiment de ses réponses. À l’exception d’une phrase que je n’oublierai jamais : il m’a dit sans détour que l’islam n’avait pas encore connu son “siècle des lumières”. Pour lui, il n’y avait dès lors pas de raison de se tourmenter sur comment vivre cette identité musulmane car de toute façon, elle était à rejeter ou du moins à largement relativiser, relevant d’un obscurantisme crasseux…

 

Le nombre de fois où je ressasse des événements passés en me disant que j’aurais vraiment dû répondre à une offense et remettre une personne à sa place… Je peux le mettre sur le compte de ma fragilité et de mon jeune âge, mais quoi qu’il en soit, complètement estomaquée, je n’ai sur le coup rien trouvé à lui répondre .

 

Que connais-tu de l’islam ? De sa spiritualité ? De son histoire ? Comment te permets-tu de juger ainsi ma religion ? Ce dédain ne te semble-t-il pas au contraire aggraver davantage mon mal-être ? Penses-tu vraiment que j’avais besoin en plus d’une couche d’islamophobie ? Que fais-tu de ton empathie et de ton professionnalisme ?

 

J’ai bien sûr arrêté d’aller le voir, moi qui puisais dans mes maigres économies d’étudiante pour aller le consulter en cachette. En cachette oui, car comme dans bon nombre de familles musulmanes, suivre une psychothérapie est taboue. Je dois bien avouer que sur le coup, cette expérience m’a conforté dans cette méfiance. Au final, j’ai payé cher pour simplement avoir à disposition une personne à qui raconter tout ce que j’avais sur le cœur, mais on ne peut pas vraiment dire que c’était une oreille attentive.

 

Le temps aidant et en menant ma propre introspection, j’ai commencé à mieux me connaître et à pouvoir rassembler les facettes éparses de ma personnalité. Ce qui m’a le plus aidé au final, a été de m’ouvrir à mes parents sur tous ces questionnements, de leur faire part de mes craintes et de ce mal-être. J’ai évacué ma honte, mes doutes et j’ai même abordé des sujets très tabous. À ce moment de ma vie, c’est eux en réalité qui pouvaient me comprendre et m’aider mieux que quiconque.

 

Ma grande chance a été que mes parents se sont montrés très compréhensifs et que nos échanges ont permis de dénouer de nombreux nœuds, en plus de créer de nouveaux liens. Je l’avoue, j’ai été étonnée par leur tolérance et j’ai alors réalisé que parfois nous sous-estimons nos parents et n’imaginons pas qu’ils puissent changer d’avis. Certes, leurs principes sont pour eux inaliénables et ils nous les inculquent avec conviction. Mais face à un enfant qui confie sincèrement ses souffrances, ils peuvent par amour accepter une variante à un concept qui leur semblait jusqu’à présent immuable. Je sais bien que j’ai une relation privilégiée avec mes parents et que la communication n’est pas évidente dans toutes les familles. Mais j’ai également remarqué ce phénomène autour de moi, notamment à travers les expériences de proches qui ont été agréablement surprises de la réaction de leurs parents qu’elles imaginaient plus intransigeants. J’utilise le féminin car bien entendu, les pressions sont plus fortes sur les filles quant à leur éducation.

 

Durant notre existence, les phases de mal-être que nous pouvons expérimenter sont souvent le fait de facteurs extérieurs (discriminations, relation abusive, etc.) mais elles peuvent aussi provenir de nous-mêmes. Elles peuvent être générées par le fait de ne pas arriver à vivre en adéquation avec ce que nous estimons comme étant notre véritable identité, ou de justement avoir du mal à la définir. Il y a forcément des pressions extérieures qui s’exercent sur cette difficulté à trouver son équilibre intérieur, mais dans ce cas, nous sommes l’actrice principale et pouvons affronter le problème de front. Avec beaucoup de patience, d’indulgence et de réflexion, nous pouvons transformer le négatif en positif, car nous avons la matière, nous sommes la matière.

 

 

 

Article écrit par Ines Geoffroy

Crédit image à la une: Ismail Zaidy

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