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Ateliers d'écriture Nos Voix

[Atelier d’écriture] Récit de femme musulmane II

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Lallab organise en partenariat avec Amy Tounkara, écrivaine et fondatrice de La femme en papier des ateliers d’écriture mensuels exclusivement réservés aux femmes musulmanes.
Il était important pour nous de créer un espace de bienveillance et de libre parole dans ce climat sexiste, raciste et islamophobe généralisée. L’objectif aussi, à travers les écrits que nous publions, est de mettre en évidence d’un côté la singularité de nos parcours de vie, le fait que LA femme musulmane dont on entend tant parler dans les médias n’existe pas; et d’un autre côté l’universalité de nos récits.
Les ateliers d’écriture ont pour but de créer un espace bienveillant afin de rendre l’écriture accessible à toutes et permettre à chacune de reprendre la narration de son histoire.
C’est une occasion à la fois d’écrire, parce que l’écriture est un exutoire, une affirmation de soi et une possibilité de développer sa créativité. Mais aussi une occasion de partager ses expériences, de libérer sa parole sur des discriminations et de rêver ensemble.

 

 

Consigne : Ecrire un texte descriptif qui met en scène un personnage de femme musulmane à partir des catégories sociales de mon choix, mais sans utiliser les mots les plus courants pour décrire une femme racisée musulmane.

 

 

Nour courut pour rejoindre l’abribus. Elle était déjà bien en retard, mais il pleuvait des cordes et elle s’était donné beaucoup de mal à lisser ses cheveux. Elle ne voulait absolument pas que ses bouclettes nord africaines refassent leur apparition. 

Se couvrant la tête avec son écharpe, elle se remémora alors le sermon de son père sur l’absurdité de vouloir changer ses cheveux naturels, qu’il trouvait si beaux. Mais dans l’entreprise où elle était en stage, elle se sentait déjà bien assez à l’écart au milieu de ses collègues, pas besoin d’en rajouter. Entre les blagues sur l’alcool et le porc à chaque repas d’entreprise et les “est-ce que tu retournes au “bled” ? ” à chaque vacances, Nour voulait passer inaperçu le plus possible. 

Après quelques minutes, la pluie finit par cesser. Nour reprit son chemin. Elle était la première de son entourage à avoir fait des études supérieures. Ses parents étaient fiers, mais inquiets à l’idée que leur fille unique évolue dans un univers si occidentalisé, bien loin de la culture et des traditions qu’ils avaient eux connu. Faire accepter l’idée d’étudier loin du domicile familiale avait été pour Nour un rude combat. De même que partir à l’étranger pour son année de césure. Ce stage, c’était la dernière ligne droite pour obtenir son diplôme. 

C’est avec cette idée en tête que Nour passa la porte des bureaux, prête à tout affronter pour réaliser ses rêves.

 

Hanna

 

Crédit photo : Lallab

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Diffuse la bonne parole

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Ateliers d'écriture Nos Voix

[Atelier d’écriture] Récit de femme musulmane I

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Lallab organise en partenariat avec Amy Tounkara, écrivaine et fondatrice de La femme en papier des ateliers d’écriture mensuels exclusivement réservés aux femmes musulmanes.
Il était important pour nous de créer un espace de bienveillance et de libre parole dans ce climat sexiste, raciste et islamophobe généralisée. L’objectif aussi, à travers les écrits que nous publions, est de mettre en évidence d’un côté la singularité de nos parcours de vie, le fait que LA femme musulmane dont on entend tant parler dans les médias n’existe pas; et d’un autre côté l’universalité de nos récits.
Les ateliers d’écriture ont pour but de créer un espace bienveillant afin de rendre l’écriture accessible à toutes et permettre à chacune de reprendre la narration de son histoire.
C’est une occasion à la fois d’écrire, parce que l’écriture est un exutoire, une affirmation de soi et une possibilité de développer sa créativité. Mais aussi une occasion de partager ses expériences, de libérer sa parole sur des discriminations et de rêver ensemble.

 

 

Consigne : Ecrire un texte descriptif qui met en scène un personnage de femme musulmane à partir des catégories sociales de mon choix, mais sans utiliser les mots les plus courants pour décrire une femme racisée musulmane.

 

 

Se promenant dans les rues de son quartier, Layinah ne cessait de penser à l’actualité. L’atmosphère était de plus en plus pesante, et pas seulement parce que c’était un jour d’été. Il lui semblait impossible de respirer lorsque beaucoup cherchaient à l’étouffer.

Ses grands-parents rêvaient d’un avenir meilleur pour elle, où elle échapperait à tout ce que la société leur avait imposée. Désormais, leur petite princesse avait grandi, et devait affronter la réalité de la vie. Sa peau dorée lui imposait de devoir chaque jour prouver sa légitimité, dans cet univers phallocratique et peu coloré. Née dans une ville constamment stigmatisée, elle s’efforçait de prouver à tous/toutes ce qu’elle valait. Ce mélange empoisonné était saupoudré de ce qu’elle portait fièrement sur la tête, qui dévoilait ses plus intimes convictions.

Mais ce jour-là n’était pas un jour comme les autres. Elle venait d’obtenir son diplôme, honorant ainsi le voyage de ses grands-parents, il y a 50 ans. Alors ce jour-là, tout était possible. Même si les tatas comoriennes lui reprochaient son célibat, elle savait que la priorité, c’était elle. Ses objectifs étaient clairs, il lui fallait puiser dans l’héritage de ses prédecesseuses pour offrir à ses petites sœurs de nouvelles possibilités, de récolter les fleurs des graines que Layinah pouvait planter. Le chemin était long pour briser les chaînes qui la liaient, mais l’amour qui la faisait vibrer allait au-delà des frontières qu’on lui avait tracé. Sa réussite était bien sienne, mais elle était pleine d’espoir pour toutes celles qui pouvaient lui ressembler.

 

Hadidja

 

 

Crédit photo : Lallab

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Portraits

Hanane Karimi, une autre définition de soi est possible

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Lors d’une fin d’après-midi, j’écoute son histoire, je la regarde et j’ai du mal à imaginer que cette femme si engagée, Hanane Karimi, put être un temps, chez elle, à ne pas partager ses riches idées. « Morte socialement », comme elle le dit.
Actuellement doctorante en sociologie, cette féministe musulmane nous montre qu’une autre réalité, une autre définition de soi-même est possible. A tout moment. Comment a-t-elle pris sa vie en main ? Comment est-elle devenue une des figures médiatiques de la lutte contre le sexisme, l’islamophobie, et de nombreuses autres injustices ?
C’est l’histoire d’une Femme plus que d’une militante que j’ai envie de partager. Bien que l’un n’aille pas sans l’autre. Je veux essayer de comprendre ce qui se passe dans une vie pour que tout change…

 

Premier évènement

 

Le premier évènement marquant dans la vie d’Hanane se produit à ses 19 ans. Elle est en BTS à Nancy. Son voile ne plaît pas. Les tensions montent au sein de son établissement avec cette islamophobie latente. Plutôt que de se faire virer, c’est elle qui quitte son lycée. Nous sommes en 1998, bien loin encore de la loi du 15 mars 2004.

Elle finit son BTS dans un autre établissement, puis se retrouve femme au foyer. Par ses propres mots, elle dit « jouer son rôle assigné d’épouse, de mère » pendant 10 ans. Son expérience familiale, maritale, va être chargée de sexisme. Au départ, cela concerne essentiellement son environnement familial. Mais pas que… Elle commence à le vivre, à le voir, de plus en plus dans d’autres sphères. Rebelle et revendicatrice, c’est à la naissance de son troisième enfant que les choses changent.

 

L’épreuve

 

A 27 ans, elle se sent morte socialement. Pour elle, c’est « la mort, la fin ». Puis naît son troisième enfant, malade. Tout est chamboulé. Cette épreuve remet en question toutes ses certitudes. Rien ne sera plus comme avant. Elle ne rentre plus dans le « moule de la structure familiale, religieuse, communautaire ». Elle ressent l’envie « de reprendre [s]a vie en main, d’agir ».

Première étape : reprendre des études, contre l’avis de sa famille. C’est son premier pas vers SA définition d’elle-même. Elle ose un voyage aux Etats-Unis et part suivre une université d’été de bioéthique. Une nouvelle Hanane renaît.

Le plus dur au départ est de dépasser la peur. Elle parle de cette « peur de l’émancipation, peur de l’inconnu et peur de changer la personne que je suis ». Elle parle de cette nécessité de cependant « dépasser les structures limitantes sans se nier ».

C’est le premier pas de ce changement : « Accepter que je ne sois plus la même ».

Elle se lance dans la sociologie, avec une préférence pour la bioéthique. Son choix de l’éthique rentre en total accord avec sa quête de justice au sein de la société. Un brin de philosophie s’y mêle. De spiritualité aussi…

 

Les premières rencontres féministes

 

Ses plus belles rencontres ont eu lieu dans des livres, dans des romans historiques. Ce sont, comme elle le dit si joliment, « des fenêtres ouvertes sur le monde ».

Elle est inspirée en premier lieu par des femmes musulmanes telles que Khadija et Aïcha, deux des femmes du prophète Mohammed (que la Paix et le Salut soient sur lui).

 

« Ces femmes sont, à leur époque, déjà émancipées. Il y a un tel décalage avec le rôle, la fonction qu’on veut nous donner par rapport à ce qu’étaient ces femmes-là. Elles avaient des fonctions sociales, politiques, économiques reconnues. »

 

Sa vie change. Les rencontres se multiplient. Pendant deux ans, une fois par mois à Paris, elle rejoint le collectif Musulmanes en mouvement. C’est un lieu où d’autres femmes musulmanes partagent les mêmes questionnements sur le sexisme. C’est également un lieu de ressourcement, de sororité, d’unité.

Sa première action visible sera sa place de porte-parole au sein du mouvement Les femmes dans la mosquée en 2013. Elle ira y défendre, avec d’autres sœurs, une prise en considération des besoins des femmes au sein de la communauté musulmane, luttant contre l’invisibilisation dont elles souffrent déjà socialement du fait de l’islamophobie.

 

Crédit photo : Citizende/Michel Stoupak

 

Puis s’enchaînent de nombreuses autres actions et une médiatisation importante d’Hanane. Son but est de défendre les droits des femmes musulmanes, avec en particulier la Marche de la dignité et contre le racisme, organisée en 2015 et à laquelle elle participe activement.

Depuis, elle poursuit sa thèse. Son engagement a pris le pas sur tout le reste. Elle cherche à comprendre l’impact de la loi du 15 mars 2004, interdisant le port de signes religieux ostensibles dans les établissements d’enseignement publics, sur la vie des femmes musulmanes.

 

Crédit photo : 7 sur 7.be

 

Pour cela, elle interviewe nombre d’entre elles. Elle cherche à savoir ce que sont leurs réalités sociales, économiques, familiales, religieuses. A comprendre leurs trajectoires de vie et les stratégies qu’elles ont adoptées.

Elle croit en la force de l’exemple, en l’identification qui permettra à un plus grand nombre de femmes de trouver les outils pour se construire et avancer malgré les difficultés.

Son rêve, son souhait est « que chaque être soit considéré comme un être humain à part entière. Une vie respectée comme sa propre vie. Que les catégories de couleur de peau, de religion, d’origine, de sexe, de handicap ne soient plus des critères de sélection ».

 

Quelques conseils

 

Je lui demande quelques conseils inspirants pour les femmes qui, comme elle, souhaitent trouver LEUR place :

  1. S’auto-définir : on ne doit pas accepter que l’autre nous définisse et s’en contenter.
  2. L’affirmation de soi. Dire oui à SA vie. Ne pas accepter une projection du pouvoir de quelqu’un d’autre que soi.
  3. Oser faire le premier pas vers ses objectifs, aussi irréalisables semblent-ils. Juste le premier pas, se projeter. Faire les causes. Rêver.
  4. Ne pas rester seule, être entourée de personnes inspirantes, bienveillantes et motivantes.

 

Ses forces et ses ressources pour lutter

 

La lutte qu’elle mène est source d’attaques permanentes. Il y a eu des moments de grandes difficultés : « Ce n’est pas possible de lutter sans souffrir, ce n’est pas une ballade ». Je me demande où elle trouve sa force. Elle parle de la sororité, de ses sœurs avec qui elle partage une solidarité, une empathie qu’elle ne trouve nulle part ailleurs.

Puis elle me parle de Dieu, de sa foi. « L’islam, c’est LE refuge qui me permet de tenir. »

Elle récite ces versets de la sourate Ad-Duha, « Le jour montant » : « Ne t’a-t-Il pas trouvé orphelin ? Alors Il t’a accueilli. Ne t’a-t-Il pas trouvé égaré ? Alors Il t’a guidé. » (sourate 93, versets 6-7).

 

 

Crédit photo : Pexels

 

C’est dans l’épreuve que Hanane a compris que la cause pour laquelle elle se bat est très grande. Elle comprend alors que les attaques personnelles et les menaces qu’elle reçoit sont destinées à ce qu’elle représente et ce qu’elle porte comme message.

 

Une source d’inspiration pour les sien·ne·s

 

Et autour d’elle, auprès de sa propre famille, les lignes aussi ont bougé. Sa plus grande fille la remercie : « Merci. Merci d’avoir fait le travail que tu as pu faire ». Hanane refuse que sa propre fille ait à subir ça. Une fille qui rêve de devenir avocate…

Sa sœur, boostée par son parcours, a elle aussi repris le chemin du travail.

Et cette phrase sublime de sa propre mère : Ma fille, je t’ai longtemps enfermée dans mes propres convictions. Ce sont les femmes qui doivent s’affirmer. Je n’ai pas entendu. C’est toi qui as raison ».

Elle est la preuve vivante qu’on peut se réaliser en tant que femme avec sa propre définition, qu’un autre possible existe et est réalisable. Dix ans après, elle a dépassé ses projets.

 

Et maintenant ?

 

Je me demande si on ne pourrait pas la retrouver en politique un jour. Elle me répond : « J’ai déjà été sollicitée deux fois, mais j’ai refusé, car je ne suis plus en accord avec le système ». Elle croit en un changement du système de l’extérieur, même s’il faut un peu plus de temps.

 

« Regardez les luttes de décolonisation en Algérie, et d’émancipation aux USA. Il faut une grande détermination collective pour ébranler un système. Un contre-pouvoir qui serait le peuple. La force est dans le collectif. Il ne faut pas s’isoler. Quand on voit les obstacles, il faut continuer à y croire. »

 

Crédit Photo : Hassan Kodak

 

Elle poursuit sa route, en passant peu à peu le relais à d’autres. Elle finit sa thèse puis espère écrire un roman. Elle continuera ainsi à inspirer d’autres femmes par ses écrits et nous partagera sa propre « fenêtre ouverte sur le monde ».

Merci Hanane.

 

 

Pour continuer à suivre cette femme inspirante :

Sur twitter : @7Lou_Anne

Sur Facebook : Hanane Karimi

Elle a participé à l’écriture de Voiles et préjugés aux éditions Melting Book

 

 

Prochaine actualité : 

Une performance artistique le 13 mars à Rennes : « Est-ce que tu crois que je doiVe m’excuser pour les attentats ? »

Sa soutenance de thèse à la rentrée, si Dieu le veut.

 

Crédit photo à la une : Laurent de Martini

 

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Portraits

Nargesse Bibimoune : auteure militante

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Depuis son plus jeune âge, Nargesse Bibimoune écrit avec la sensation que jamais une feuille blanche ne la jugera. Le papier imbibe, accueille tout ce qui sort d’un stylo. Et c’est sur ce support qu’elle choisit donc d’aiguiser sa plume. Quelques milliers de pages noircies et 20 000 likes plus tard, la voici créatrice de deux romans et d’un témoignage, Confidences à mon Voile.

 

L’écrit, une pratique solitaire qui se partage

 

Confidences à mon voile recouvre la vie de Nargesse depuis qu’elle a choisi d’orner d’un foulard sa tête de jeune fille de 11 ans, jusqu’à ses 25 ans. C’est un voyage au Pérou qui provoque l’urgence de raconter. Un voyage pour prendre de la distance avec son propre pays… où lui est demandé, à la frontière, de retirer son foulard. Même dans un territoire avec une faible population musulmane, il faudra ôter le tissu et porter son stigmate. C’en est trop, voici venu le temps d’écrire cette réalité quotidienne, diluée d’un bout à l’autre de la Terre ! Alors Nargesse s’attèle à relater quatorze années dont elle décrit les discriminations, les confrontations répétitives à l’islamophobie. Des coups de loupes sur une tranche de vie, dont les sombres anecdotes et les questionnements lumineux qui en découlent font contraste. Et qui, mis bout à bout, dessinent la cartographie d’une oppression qui pose à chacun·e une question essentielle : dans ce monde-ci, où est-ce que je me situe ?

J’ai eu besoin d’expliquer que ce n’est pas l’islam qui m’a oppressée, qui a posé des barrières dans ma vie. Ce sont ces institutions racistes et islamophobes qui m’ont obligée à avoir des stratégies de contournement face à elles.

 

Si la feuille vierge ne juge pas, la crainte d’être instrumentalisée oriente petit à petit le choix des mots… Pour parler librement de ce sujet sans peur d’être incomprise, il faudra emprunter un discours clair, précis. Éviter les brèches dans lesquelles peuvent s’engouffrer les détracteurs·trices. Parvenir à parler du sexisme par exemple, que toute femme peut subir, et entre autres au sein de la communauté musulmane, sans en faire le terreau d’un discours islamophobe. Ces stratégies d’écriture constituent des contraintes nécessaires pour répondre à ses objectifs.

 

L’inspiration mutuelle pour objectif personnel

Le but n’est pas que ma parole soit inédite, mais que des centaines et des centaines de témoignages émergent, sous toutes les formes.

Grâce aux tournées dans différents lieux militants pour présenter son livre, Nargesse discute avec de nombreuses femmes musulmanes. Et elles viennent, elles aussi, raconter leur réalité, faire part de leurs remises en question, de ces stigmates intériorisés. Ces petits événements pas spontanément analysés comme islamophobes, mais qui, à la lecture, réveillent par effet miroir l’évidence d’actes condamnables.
L’impact recherché par l’écriture et la publication vise plusieurs dimensions. Tout d’abord, mettre en lumière les rouages d’une islamophobie banalisée (les enseignant·e·s qui, après la lecture du livre, ont par exemple pu concevoir la loi de 2004, qu’elles avaient approuvée, comme une privation à l’accès à l’éducation pour des jeunes filles, et une humiliation). Puis faire prendre conscience aux femmes musulmanes de leurs droits et des injustices subies.
De même, soutenir les femmes musulmanes à considérer la valeur de leurs paroles, et à la porter. Enfin, accompagner une réflexion sur les engrenages qui poussent à déshumaniser les personnes qui se trouvent sous ces voiles, et dont les aspirations peuvent se sentir fragilisées. Avec douceur, questionner sa propre construction, se demander où on se sent libre.

 

Comprendre les mécaniques de domination pour mieux les déconstruire

Nous représentons encore cet ailleurs, on parle d’immigré·e·s de troisième génération, [on parle] de nous en termes de choc de cultures.

Pour Nargesse, les stéréotypes sont le fruit direct d’héritages historiques, étatiques. Ce que les musulman·e·s subissent en France aujourd’hui a, selon elle, un lien profond avec l’histoire de la colonisation. Les mises en parallèle permettent de clarifier cette lecture des événements. Les dévoilements publics en 1958 à Alger et le dévoilement institutionnalisé depuis 2004. La gestion des territoires dits « français » en Algérie, au Maroc ou en Tunisie, et la gestion coloniale des quartiers populaires à l’heure actuelle. Dans les pratiques de la police : la BAC d’aujourd’hui est clairement héritière des brigades qui géraient les Nord-africains à l’époque. Pour elle, c’est un continuum, une forme moderne de rapport colonial. Voilà d’où viennent ces perceptions racistes. Un impérialisme sur lequel la République s’est fondée, considérant qu’elle pouvait aller coloniser des peuples, ailleurs.

Nos parents ne sont pas considérés comme des personnes bilingues, contrairement, par exemple, à une valorisation des bilingues anglais-français. Ça pose la question de la constitution d’une France qui a voulu bannir tous les patois, cherchant à produire une langue unique niant les pluralités. Cette France ne cherche pas à accepter les singularités, mais réclame aux individus de se désintégrer pour s’intégrer à un schéma national.

 

Quand elle était petite, la mère de Nargesse lui parlait arabe. La maîtresse est intervenue en lui demandant d’arrêter, sous prétexte d’un obstacle à l’intégration. Ses parents ont obéi. Ils voulaient que leurs enfants aient de bonnes notes à l’école. Aujourd’hui, la pratique de l’arabe de Nargesse devenue femme n’est pas fluide. Censurer la langue maternelle d’un enfant, c’est déjà lui suggérer dans le cadre d’un enseignement puissant qu’il a tout intérêt à ne pas aimer ce qui le constitue.

 

Crédit photo : Addéli Falef

 

Trouver son mouvement féministe

 

Se définir féministe ne fut pas pour Nargesse une évidence, mais tout un parcours : rejetant elle-même l’exclusion subie par des féministes anti-voile, elle se déclare d’abord anti-féministe : à l’époque, elle se sent inadaptable à un féminisme dont elle considérait l’héritage bien trop violent, et préfère le qualificatif d’humaniste.

Et puis il y a eu un événement déclencheur. Le 8 mars 2013, elle se fait exclure d’une salle de sport au motif que, « ici, ce sont des gens libres qui viennent ». Le parallèle avec la Journée Internationale des Droits des Femmes la fait bondir. Quel est son état de femme en France ? Son désir de faire du sport, de s’occuper de son corps et le choix financier de cette salle se sont simplement retrouvés bafoués sous l’étendard d’une prétendue liberté. Ah, mais voilà ce que peut être le féminisme ! Faire valoir ses droits en tant que femme subissant une injustice ! Après ce déclic et quelques recherches, elle découvre alors le féminisme islamique, l’afroféminisme, le féminisme intersectionnel qui lui permettent de se réconcilier avec ce terme. Aujourd’hui, elle se revendique en tant que telle.

J’existe, avec mes modalités, ces croyances, ces pratiques et je ne fais de mal à personne. Ne venez pas, vous, me faire du mal.

Trouver son moyen d’action

 

Elle choisit comme moyen de contestation le militantisme de terrain. Ancrée dans des réalités locales, elle prend soin d’agir dans un quotidien. Pour exemple, la lutte contre les violences policières qu’elle mène en faisant partie d’un comité de soutien à Toulouse. Elle s’investit aussi dans le CSA (Centre Social Autogéré) de la même ville .

Le CSA est déjà un lieu politique en tant que tel. Un lieu qui fait partie de ceux réquisitionnés, parmi les trop nombreuses bâtisses abandonnées et fermées à des personnes qui dorment dans la rue. Le fait même de rendre ce lieu habitable, habité, en luttant alors contre la spéculation et l’augmentation des loyers, est politique. Il n’y a qu’une force militante qui puisse faire tenir ses murs, permettant un logement à deux familles, et à de nombreuses personnes dont le dossier serait rejeté par les agences. Car même avec des papiers français, être au RSA (Revenu de solidarité active) et sans garant·e·s constitue une entrave conséquente aux possibilités de logement. Proposer des solutions à des gens qui n’ont pas d’autres choix n’est pas un folklore.

Ce CSA s’inscrit dans un mouvement plus large (LA CREA) de réquisition de logements vides, de création d’activités, de liens entre les gens, de mise à disposition de salles de réunion et de lieux pour des soirées de solidarité, des repas… Et tout ceci permet de créer des situations où imaginer un monde différent. À contre-courant des normes individualistes concentrées sur son propre confort et sa consommation, tout en étant ancré dans des réalités locales.

L’islam m’a appris à me lever contre l’injustice. Il a donné du sens à mes agissements. Si je ne croyais pas en la pérennité de l’homme et de la femme, si je ne croyais pas que la vie a un sens au travers des actions que l’on peut faire vis-à-vis de Dieu, je pense que je n’aurais pas joué le jeu longtemps. Ce n’est pas l’état catastrophique du monde aujourd’hui qui m’anime, mais la perspective d’une justice pour laquelle il faut se battre dès maintenant.

La rencontre des personnes minorisées, quelqu’en soit la raison, est quelque chose de tu. Il est bien moins menaçant d’envisager chaque personne opprimée comme appartenant à un groupe isolé. Et que ces groupes se montent les uns contre les autres. Nargesse sait combien cette suggestion d’une division systématique est stratégique, fausse.

Qui sont les premières personnes qui peuvent te comprendre, si ce n’est celles qui sont aussi niées dans leur humanité au quotidien ? Ce sont des personnes qui font partie des premier·e·s allié·e·s. Ce sont les personnes avec qui tu as grandi, les gens de ton quartier, de ta communauté, mais aussi, par exemple, les minorités sexuelles, les personnes non-valides, les minorités de genre… toutes les personnes niées dans leur droit à exister.

Sous le voile de Nargesse se déploient tant de visages. Celui de la femme forte et celui de l’enfant rieuse. Celui qui, sourcils froncés, se confronte à ses propres pensées. Celui qui, le front serein, écoute celles des autres. Celui, criant, de la révolte. Celui, priant, de la dévote. Un visage coquet, minutieusement orné, et dont elle laisse s’échapper les expressions spontanées. Et on se dit que si les personnes qui figent leurs yeux sur un voile prenaient la peine de les baisser un peu, elles permettraient simplement la rencontre de bien grandes figures.

Nargesse Bibimoune : auteure militante – Crédit vidéo : Addéli Falef pour Lallab – Crédit musique : www.musicscreen.org

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Portraits

Elsa Ray : la plume au service de l’engagement

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C’est l’un des avantages d’écrire pour Lallab : je peux profiter d’écrire le portrait d’une femme musulmane que j’admire et qui m’inspire… pour la rencontrer. Elsa Ray, ancienne porte-parole du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF), femme engagée et à la plume poétique, me reçoit chez elle. Son accueil naturel et chaleureux me met tout de suite à l’aise, et je découvre l’énergie positive et la philosophie de vie qui lui permettent d’être aussi active.

 

A première vue, le parcours d’Elsa Ray ne semblait sans doute pas une évidence. Elle grandit dans un petit village de Bourgogne, qu’elle quitte après un bac littéraire. Elle étudie les sciences politiques à Lyon et à Rennes, puis le journalisme à Montpellier. Mais malgré l’intérêt qu’elle porte à ses cours, notamment ceux qu’elle suit avec Edwy Plenel, elle sent que son chemin est ailleurs. A 22 ans, son diplôme en poche, elle part pendant un an comme jeune fille au pair aux Etats-Unis, dans le petit Etat du Connecticut. Inspirée par les cours qu’elle y suit et par l’esprit d’initiative qui y règne, elle décide de se consacrer à ses rêves dès son retour en France.

J’avais deux rêves : écrire un livre et m’engager dans l’associatif. (…) Si j’ai un rêve ou une ambition, je ne me mets pas de frein, pas de barrière : je me donne les moyens pour y arriver. 

De retour dans l’Hexagone, elle couche sur le papier son premier roman (non publié) ; l’idée ayant pris forme depuis un certain temps dans ses pensées, le processus prend moins de trois mois. Elle est ainsi libre de se consacrer à son deuxième projet, celui de s’engager dans le milieu associatif. Mais pas n’importe où : marquée par les émeutes de 2005 dans les banlieues, elle s’intéresse particulièrement aux quartiers populaires. Le contraste avec son propre milieu d’origine, à la fois rural et plutôt aisé, renforce la curiosité à laquelle son éducation l’a toujours encouragée.

 

Engagements associatifs et découverte de l’islam

 

Désormais installée en région parisienne, elle donne des cours d’anglais dans une agence, puis y devient chargée de recrutement. Ses activités professionnelles ne représentent toutefois qu’un à-côté, l’essentiel de son temps étant consacré à ses activités associatives. Elle s’engage notamment au sein du collectif Stop le contrôle au faciès, et est pendant plusieurs années la secrétaire du collectif Cité en mouvement, qui vise à mettre en réseau les initiatives dans les quartiers populaires.

Face à l’étendue des difficultés, on peut parfois se dire que ce qu’on ferait ne servirait à rien ; mais je pense qu’il est essentiel d’agir et de se rendre utile à son niveau. 

Ses engagements changent complètement son environnement : pour la première fois de sa vie, elle est entourée majoritairement de musulman.e.s. Elle se sent « comme chez elle » dans son nouveau milieu, y noue de solides amitiés, et est marquée par la gentillesse et la solidarité qu’elle observe. Fascinée par l’islam depuis toute petite, son intérêt est croissant. « Mais je ne voulais surtout pas apprendre l’islam par les gens ! »

Sa première lecture du Coran ne la transcende pas, mais elle continue à chercher la connaissance par elle-même, dans les livres. Convaincue par ce qu’elle lit, elle fait alors les choses méthodiquement, changeant son comportement petit à petit, avant même de se convertir. Ainsi, lorsqu’elle franchit le pas, au début de l’année 2013, elle se sent cohérente vis-à-vis de sa foi – elle a même déjà commencé à prier.

 

Sur le devant de la scène avec le CCIF

 

Peu de temps s’écoule avant qu’elle n’allie ses convictions et son engagement associatif : en mars de la même année, elle rejoint le Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF), en tant que chargée de communication et chargée de projet. Pendant deux ans, elle développe IMAN (Islamophobia Monitoring and Action Network), le premier projet paneuropéen de lutte contre l’islamophobie.

 

Crédit Photo : SaphirNews

 

Subventionné par l’Union Européenne et porté par le CCIF et le réseau d’associations de jeunesse musulmanes FEMYSO, il réunit une quinzaine d’associations musulmanes ou de lutte contre le racisme et les discriminations, venant de huit pays européens différents. Elsa Ray compare l’étendue de ce projet à « une maison à construire sur un terrain vague » : il s’agit de collecter des données sur l’islamophobie pour combler le manque en la matière en Europe, de créer une plateforme intranet, et de développer des supports de formation sur cette thématique.

 

C’est lors d’une formation IMAN à Londres qu’elle prend la décision de porter le foulard. Elle, qui avait auparavant l’impression que ce n’était pas quelque chose pour elle, le garde en sortant d’une mosquée, pour ne plus jamais le retirer. Elle se souvient de la date exacte : le 12 mars 2014.

L’annonce à la famille est difficile, mais elle vit une période d’exaltation spirituelle intense, heureuse d’avoir pris « la plus belle décision de [s]a vie » et d’avoir fait ce choix uniquement par amour pour Dieu. Bien que les plus simples moments du quotidien puissent maintenant être synonymes de difficultés, les regards, les remarques et les insultes glissent sur elle. Face à ces réactions hostiles, elle prône la douceur, mais aussi la fermeté : « Ne jamais, jamais céder sur ses droits ».

 

Cette position est sans doute influencée par les témoignages de victimes d’islamophobie qui sont accompagnées par le CCIF. Elsa Ray reste malgré tout optimiste : elle voit dans ces épreuves des opportunités de se réinventer et de se réapproprier son identité, comme en témoignent les initiatives de plus en plus nombreuses de femmes musulmanes qui tirent parti des difficultés pour se prendre en main. Elle se réfère notamment au verset 286 de la deuxième sourate du Coran, qui dit que « Dieu n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité » :

Si on subit ces épreuves, c’est qu’on est en capacité de les surmonter et d’en faire quelque chose de constructif. 

Mais la période après les attentats de janvier 2015 est particulièrement difficile. En parallèle du projet IMAN, elle est devenue porte-parole du CCIF, et elle est assaillie par des médias du monde entier pour commenter l’évolution de la situation en France. Au mois de juillet, la fatigue la pousse à prendre une pause, afin de se reposer et de prendre du recul.

 

Chroniques de Palestine : vers ses propres projets

 

Elle décide de prendre une année « sabbatique », dit-elle tout en précisant pourquoi elle utilise des guillemets : « Tout est relatif… ! ». En effet, elle continue à être très investie au niveau associatif, notamment en tant que bénévole chez We are solidarité, qui œuvre à la fois dans la bande de Gaza et en faveur des réfugiés en Île-de-France. C’est avec des membres de cette association qu’elle entreprend en 2016 un voyage en Palestine, qui sera un véritable déclic.

Tu ne peux pas aller en Palestine et revenir en étant la même personne que tu étais avant. 
Crédit Photo : Marion Pons

 

Suivant son intuition, elle veut absolument y retourner et ne cesse de se demander comment elle pourrait soutenir la cause palestinienne. Les paroles d’un homme rencontré sur place l’aiguillent : « Il faut que vous veniez et que vous rapportiez notre vérité ».

Elle sera donc une ambassadrice des voix des Palestinien.ne.s, en mettant à profit ce qu’elle sait faire : écrire. Lors de son premier voyage, elle avait déjà partagé des chroniques quotidiennes avec les milliers de personnes qui suivent sa page Facebook. Celle-ci est d’ailleurs devenue un espace de dialogue avec ses détracteurs.trices, du fait de son choix de répondre avec sincérité aux messages d’insultes qu’elle reçoit – conformément à un verset qu’elle cite :

Repousse le mal par ce qui est meilleur, et voilà que celui avec qui tu avais une animosité devient tel un ami chaleureux !  – (Coran / sourate 41, verset 34)

Toutefois, inquiète de voir son ego flatté ou de ne plus agir avec la pureté de ses intentions initiales, elle hésite à fermer sa page Facebook. Pour elle, il est en effet important de se réformer au niveau individuel pour être une force pour les autres. Elle cite un autre verset : « En vérité, Dieu ne modifie point l’état d’un peuple tant que les hommes qui le composent n’auront pas modifié ce qui est en eux-mêmes. » (Coran – sourate 13, verset 11). Ou, comme elle le dit de manière plus directe :

Ne t’attends pas à changer le monde si tu ne te réformes pas toi-même ! 

Après avoir refait le point sur ses intentions et s’être assurée de l’impact positif de ses publications, elle décide finalement de continuer à écrire ses chroniques lors d’un deuxième voyage, et surtout d’en tirer un livre. Son séjour dure cette fois trois mois, et elle en revient lorsque je la rencontre en janvier 2017.

 

Son objectif est de transmettre les voix des Palestinien.ne.s qu’elle a rencontré.e.s, de rapporter la vérité de ce qu’ils.elles vivent, et d’encourager chacun.e à s’y rendre. Elle souhaite également encourager la communauté musulmane française à s’engager, et l’y aider en montrant comment chacun.e peut être actif.ve.

 

Aujourd’hui, Elsa Ray veut créer ses propres projets, pour la Palestine et dans d’autres domaines, mais toujours avec le même état d’esprit : faire des choses qui ont du sens, et rechercher la satisfaction divine à travers des valeurs d’utilité, d’éthique et de justice.

 

A venir : exposition éphémère et soirée événement « Un autre jour viendra », avec les textes d’Elsa Ray et les photographies de Marion Pons. Vendredi 21 avril à 19h, à la galerie Echomusée – Goutte d’Or.

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Diffuse la bonne parole

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Portraits

« J’en veux à la France de faire de nous l’Ennemi Public Numéro Un »

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Dans Confidences à mon voile, Nargesse Bibimoune, déjà auteure du roman à succès Dans la peau d’un thug, revient sur son parcours de femme voilée en France. Sans fioritures, avec une simplicité transperçante, Nargesse raconte des bribes de vie qui ne seront que trop familières à plus d’une femme voilée/enturbannée/couvre-cheffée. Voilée ou non, femme ou homme, c’est un livre à lire absolument.

 

Ce journal intime, je l’ai lu d’une traite, en ne m’arrêtant que lorsque je devais attraper un mouchoir pour essuyer mes larmes. Je parle de journal intime car c’est la forme qu’a donnée Nargesse Bibimoune à son second livre. Elle y revient sur toutes les étapes marquantes de sa vie de femme voilée en France : de sa décision de se voiler à l’été 2002, à sa vie actuelle de femme épanouie, en passant par la loi de mars 2004 (interdisant le port de signes religieux à l’école) et les débats sur le voile qui n’ont cessé depuis. Munie de mon petit crayon, j’ai souligné tous les passages révélateurs du climat français, criants de vérité, émouvants… avant de me rendre compte que l’ensemble du livre l’était. Je me suis naturellement mise à écrire tant ses mots faisaient écho à ma vie et mes maux. Il est temps que nos pensées, nos combats, nos vies soient mis en lumière.

 

« Je suis à bout mon hijab »

 

Nargesse ne veut pas incarner les femmes voilées mais son texte peut faire écho à chacune d’entre nous. Même si les scènes vécues ne sont pas exactement les mêmes, les ressentis sont similaires. En premier lieu le sentiment d’injustice. A juste titre, elle écrit :

Nous n’avons même pas le temps de découvrir la justice que nous sommes déjà confrontées à l’injustice.

L’injustice prend différentes formes comme les discriminations, les inégalités, le racisme de nouveau décomplexé… Mais la première strate de l’injustice, la plus pernicieuse, est la violence symbolique. Les regards désapprobateurs, les remarques marmonnées de façon à n’être audibles que par nous, la boule au ventre en se rendant dans un nouvel endroit, la peur d’être refusée à cause de notre voile… La violence symbolique fait des ravages et ne nous aide pas à nous construire. Nargesse décrit parfaitement son parcours de fille devenue femme non sans difficultés. Son témoignage se lit avec émotion et illustre le développement psychologique accéléré. Nous grandissons trop vite, surtout celles qui ont décidé de le porter en pleine adolescence. Dans cette période où l’on cherche l’approbation des autres, il est extrêmement dur de se construire dans l’adversité. Les humiliations sont autant de poignards plantés dans nos jeunes cœurs. Avec résignation, nous nous devons de panser ces plaies béantes.

Ce livre est précieux pour comprendre le processus qui mène de l’incompréhension à la souffrance, et de la souffrance à la révolte. Après les temps de l’humiliation, du désarroi, du ras-le-bol, de la dépression, de la douleur et bien d’autres, vient celui de la colère et de la révolte. En effet, les solutions d’avenir qui se proposent aux femmes voilées ne sont pas illimitées : la dépression ; le repli sur soi et communautaire pour être enfin tranquille ; la révolte. La première n’est pas viable et la deuxième se révèle souvent décevante.

Nous sommes donc programmées à être révoltées pour exister dans cette société qui nous rejette. Je me joins complètement au cri du cœur de Nargesse : « J’en veux à la France de faire de nous l’Ennemi Public Numéro Un ». Le côté positif est que cette adversité a insufflé en moi la hargne pour maîtriser la langue, l’envie de connaître mes droits, le besoin de me battre pour changer ma situation. Mais à quel prix ? Ce combat imposé peut nous rendre fortes, mais surtout très fragiles. Lorsque Nargesse confie « Je suis à bout mon hijab », les mots se suffisent à eux-mêmes.

 

Cachez cette faiblesse que je ne saurais voir

 

Choisir de mettre le foulard en France, c’est accepter que « la moindre des activités devien[ne] un combat » comme l’explique si justement Nargesse. Ecole, plage, magasin, entreprise… On apprend à vivre sur la défensive, au point de friser la paranoïa. Mais à notre niveau, c’est franchement justifié. Pour s’accorder un peu de répit, on se surprend à rêver comme Nargesse : « Des fois, j’aimerais que tu sois transparent, que tu sois si petit que personne ne te voie, et que l’on arrête enfin de me parler de toi ». Par là même, on entre dans le cycle d’adaptation aux attentes de la société. Dans mon cas, cela a revêtu la forme d’un engagement personnel à ne plus mettre de foulard noir, « parce que ça fait trop peur », me disais-je il y a cinq ans. En réalité, noir ou coloré, foulard ou turban, mon voile fera toujours peur et ne sera accepté que lorsqu’il disparaîtra.

Malheureusement, le « ton voile fait trop peur » a un frère siamois. J’ai nommé « ton voile est trop occidentalisé ma sœur », prêché par les apôtres de la haram police (aujourd’hui utilisé à tort et à travers, haram signifie illicite en arabe et est un concept religieux à l’origine utilisé pour désigné ce qui a strictement été interdit par les textes sacrés et la pratique prophétique). « Ma sœur on voit ton cou », « tu mets du vernis », « tu t’épiles les sourcils ». Pour beaucoup, ce sont des signes de coquetterie, pour certain.e.s musulman.e.s, ce sont des signes d’impudeur. (Je tiens à préciser que je ne veux surtout pas lancer un énième débat sur l’épilation des sourcils ou le vernis. Ici, je déplore uniquement la focalisation qui est faite sur des détails physiques alors que nous nous devons de travailler notre spiritualité.) Donc en gros, on se doit de correspondre au modèle de la Marianne au sein nu (aux dernières nouvelles elle aurait le sein nu car elle est libre, elle, selon Valls !) et en même temps respecter une vision monolithique du modèle de la femme musulmane « respectable ». Nausée. L’infantilisation des femmes n’a aucune frontière. Mais chut, on ne se plaint pas ! Au risque d’être pointée du doigt comme « militante de l’islamisme politique qui ose se victimiser ». Face palm.

 
Sorority
La sororité selon Sanaa K.
 

Face à toute cette adversité, que nous reste-t-il ? La famille, lorsqu’elle est compréhensive, les ami.e.s les plus proches, ceux et celles qui nous aiment pour ce que nous sommes, et surtout la sororité. Vers la fin de son livre, le passage de Nargesse sur la sororité m’a mis du baume au cœur. La sororité, c’est ce groupe de personnes qui sont, comme nous, à l’intersection de plusieurs discriminations. Celles qui, non seulement nous écoutent, mais comprennent notre vécu car elles sont également passées par là. A chacune de construire sa propre sororité (un conseil : Lallab constitue un vivier de sœurs de lutte). La sororité, ce sont aussi ces inconnues, que nous ne connaissons pas mais auxquelles nous sommes reliées par ce voile commun, ce vécu commun.

Un sourire d’une sœur de lutte suffit à insuffler du courage et illuminer une journée pleine d’adversité. La sororité est essentielle à la survie en milieu hostile.

 

Quand la sœur de sang devient une sœur de lutte

 

J’ai versé les larmes les plus chaudes à la lecture de la lettre qu’elle a adressée à sa petite sœur lorsqu’elle a décidé de se voiler à son tour. Et pour cause, j’ai vécu exactement la même chose il y a de cela quelques semaines. J’ai été déstabilisée en surprenant ma sœur en train de tenter tant bien que mal d’attacher son foulard. Je ne m’y attendais pas, j’espérais que ça n’arriverait pas si tôt. Tout comme moi exactement six ans auparavant, elle n’avait prévenu personne, avait pris sa décision dans son coin.

Après la surprise, place à l’interrogatoire en bonne et due forme.

Tu es sûre ? Tu le fais à 100% pour Dieu ? Je t’ai expliqué combien c’était dur, tu penses être prête ?

Que des réponses affirmatives, je ne peux plus rien faire, je dois me résoudre à la laisser voler de ses propres ailes. Mon Dieu que c’est dur. Les bras s’enlacent, les visages se collent et les larmes s’entremêlent. Des larmes d’émotion, des larmes d’appréhension, des larmes de peur. Entre deux sanglots, j’arrive à lui dire « Tu entres dans un monde dans lequel je ne pourrai plus te protéger ».  

Ce monde nous détruit par à-coups vicieux, par petites piques en apparence inoffensives mais qui suffisent à nous ébranler. Ce monde ne nous laisse pas l’opportunité de nous développer normalement. Notre société crée une génération meurtrie mais se met des œillères pour ne pas constater les dégâts. Ce qu’il nous reste sont les quelques porte-voix qui portent nos histoires mais aussi nos espoirs. Nargesse Bibimoune en fait partie. Son livre est une des rares briques qui construisent le récit de nos vies. A nous de bâtir le reste.

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Diffuse la bonne parole

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