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Ateliers d'écriture Nos Voix

[Ateliers d’écriture] Lettre à la petite fille que j’ai été II

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Lallab organise en partenariat avec Amy Tounkara, écrivaine et fondatrice de La femme en papier des ateliers d’écriture exclusivement réservés aux femmes musulmanes. Il était important pour nous de créer un espace de bienveillance et de libre parole de ce climat d’islamophobie généralisée. L’objectif aussi, à travers les écrits que nous publions, de mettre en évidence d’un côté la singularité de nos parcours de vie, le fait que LA femme musulmane dont on entend tant parler dans les médias n’existe pas; et d’un autre côté l’universalité de nos récits, femmes musulmanes ou non. 

Dimanche 27 octobre 2019

Chère Mayem,

Je t’écris aujourd’hui pour te donner des nouvelles de toi plus tard.

Sur la photo que j’ai de toi, tu as un peu plus de 2 ans et tu souris de toutes tes dents. Pourtant, tu as déjà vu et vécu des choses pas très belles, des choses que tu vas traîner avec toi très longtemps, des choses que moi, la toi du futur, je suis à peine en train de résoudre. Mais ne t’en fais pas, parce que peu importe ce qui va t’arriver, tu ne vas jamais t’arrêter de sourire. Parfois, ton sourire sera plus triste, moins lumineux ; quand la vie se fera particulièrement difficile, tu vas même avoir peur d’avoir perdu ton sourire pour toujours. Mais crois-moi, si tu tiens bon et que tu ne te fais pas trop de mal, ton sourire reviendra, plus fort que jamais. Tellement fort que ça te fera mal aux joues !

J’aimerais t’ordonner de ne jamais écouter les voix des personnes négatives, des personnes méchantes, des personnes qui pensent savoir mieux que toi ce dont tu es
capable, mais je ne le ferai pas. Oui, toutes les voix, de toutes ces personnes forceront l’entrée dans ton esprit. Elles te feront perdre du temps, de l’énergie, et parfois, elles te feront sentir comme un gros caca bouda alors que tu es une belle plante qui prend son temps pour pousser. J’aimerais t’ordonner de ne pas les écouter, sauf qu’elles te seront essentielles dans la construction de toi, car bientôt, tu les défieras. Eh oui ! Derrière ce sourire, ce trop de patience face aux vilains pas beaux, cette tendance à douter de tout et surtout de toi, se cache un pouvoir magique : celui de te connaître, d’écouter ton cœur et de te reposer sur ta foi pour suivre ta voie. Et c’est ce qui va te sauver ma chérie. C’est ce qui fait que nous sommes encore en vie : notre obstination à suivre notre instinct, envers et contre tous.

Alors comme le chanteront Jocelyn et Cheela dans une douzaine d’années : laisse, laisse parler les gens, car on s’en fout fiche !

Merci pour ton attention,
Je fais des gros bisous sur tes grosses joues.

Intimement,
Toi.

P.S. : Si tu pouvais accorder moins de temps de ton précieux cerveau à penser aux garçons,
je t’en serais très reconnaissante.

 

 

 

Leïla Ino,

Leïla, qui es-tu ?

Plus le temps passe, plus ma mémoire me fait défaut.
C’est d’ailleurs, pour cela que j’ai pris goût à écrire.
Écrire non seulement pour extérioriser mes sentiments, mes non-dits, mais également pour laisser une trace derrière moi. Au moment même où je t’écris mes pensées ne sont pas claires, et ton enthousiasme de transmettre tes connaissances, ton amour à ton prochain est toujours présent, et pour cela je t’en remercie.
Je suis à la fois reconnaissante et désolée. Désolée, car mes souvenirs que j’ai de toi ma petite repose essentiellement sur des photos que Papa et Mama prenaient. Dieu merci, j’ai une traçabilité de ton enfance et de ce fait de la mienne. Mes yeux me permettent ainsi de visualiser tes instants T tels que ces fameux voyages animés que chaque année nous faisons pour aller au Maroc, avec cette fameuse Renault 21. Cependant, comment saisir, percevoir ressentir ces moments avec exactitude ? Comment pourrais–je prétendre savoir avec certitude ce que tu ressentais, voyais, touchais, goûtais, sentais à un instant donné. Rassure-toi, j’ai toutefois quelques souvenirs ….
Te souviens-tu de ce jour, ou peut être n’est-il pas encore arrivé ? Je prends le risque de te le dévoiler, car ce jour-là, ta Mama fut heureuse de voir ses petites princesses sourire. Ta sœur, Mina, ou devrais-je dire ta « fausse jumelle » de vêtements, et toi participiez à un concours de fin d’année, dans lequel les participants devaient porter leurs costumes.
Ce jour-là, Inna Inooo a prit le plaisir de nous mettre les tachktas, maquillées, parfumées pour cette occasion. Pour elle, nous n’étions pas déguisées, loin de là. Tu étais fière de porter ce vêtement qui t’identifie. Papa, quant à lui, était prêt à prendre des tonnes de photos même si cela allait lui coûter une fortune. 50 Francs ? Peu importe le prix, tu connais la famille bebenss. Ce courage, cette force, cette fierté d’exprimer ta différence est ta principale force.
Leïla, tu as de gros yeux marrons,
Mais pas ceux d’un cochon.
Tu as 10 ans,
Mais tu n’es pas un enfant.
Pour terminer, je te dirais ces quelques mots (car malheureusement je suis contrainte d’achever cette lettre pourtant j’ai tant de choses à te dire…)
Écoute ton sixième sens, qui repose sur ton cœur. Sache que rien n’est acquis. Garde ton sourire. Ta Positive attitude. Crois-en tes principes, tes valeurs.
Exprime-Toi. N’aie pas peur d’être différente. Une chose est sûre, on ne peut pas plaire à tout le monde.
Regarde-Toi, Aime-TOI,
Be Yurself,
Je t’aime comme TU ES.

YurselfLey.

 

 

 

27 octobre 2019

Chère Meriem

À l’aube de tes six ans, tu ris aux éclats avec ta famille, tes sœurs et tes presque sœurs.
Insouciante, revenant de vacances, après deux mois au Maroc, tu ne le sais pas encore, mais tu ne rencontreras ta famille et ton pays d’origine qu’à l’âge de 17 ans. Cette injustice fera que vous visiterez tout, sauf ce pays. Mais ce sera ta richesse et ton envie de découvrir et voyager qui s’instaurera petit à petit.
Eh oui, tu ne t’en rends pas encore compte, mais c’est sur ces moments-là que tu pourras te reposer quand tu grandiras : la fraternité, l’amour et la famille.
Dans les bons moments et mauvais moments ça sera ton plus grand soutien, ton réconfort, face à l’adversité, aux épreuves, l’injustice que tu subiras, l’humiliation, et j’en passe. Face à la maladie, au bonheur et aux moments de joie.
Chéris tous ces moments partagés, car tes parents, ta famille t’ont donné la force, l’amour, les merveilleux souvenirs de joie, le courage, la capacité de lutter pour tes droits, et surtout d’être la meilleure version de toi-même.
Sache que ton cocon doré, tu pourras toujours t’y ressourcer, t’y nourrir à n’importe quel moment, n’importe quel âge, dans toutes les étapes de la vie. Alors profite, ris, voyage, lis, aime, chante, danse, élève-toi de plus en plus vers Dieu. Lui, combiné à ta famille, sera ta plus grande force mentale lors de toutes les épreuves de la vie que tu vas traverser, et sache-le : pas tout le monde a cette chance-là. Tu t’en rendras compte bien assez tôt. Conserve cette âme pure et sache que la vie est belle, pleine de surprises et de belles rencontres, riches et humaines. Ne brise jamais tes rêves, va loin. Je t’aime.

Meriem Saghrouni

 

 

 

Crédit photo : Lallab

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Diffuse la bonne parole

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Ateliers d'écriture Nos Voix

[Ateliers d’écriture] Lettre à la petite fille que j’ai été I

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Lallab organise en partenariat avec Amy Tounkara, écrivaine et fondatrice de La femme en papier des ateliers d’écriture mensuels exclusivement réservés aux femmes musulmanes.
Il était important pour nous de créer un espace de bienveillance et de libre parole dans ce climat sexiste, raciste et islamophobe généralisée. L’objectif aussi, à travers les écrits que nous publions, est de mettre en évidence d’un côté la singularité de nos parcours de vie, le fait que LA femme musulmane dont on entend tant parler dans les médias n’existe pas; et d’un autre côté l’universalité de nos récits.
Les ateliers d’écriture ont pour but de créer un espace bienveillant afin de rendre l’écriture accessible à toutes et permettre à chacune de reprendre la narration de son histoire.
C’est une occasion à la fois d’écrire, parce que l’écriture est un exutoire, une affirmation de soi et une possibilité de développer sa créativité. Mais aussi une occasion de partager ses expériences, de libérer sa parole sur des discriminations et de rêver ensemble.
Lallab publie les textes des participantes qui le souhaitent.

Thème : Ecris une lettre à la petite fille que tu étais.

Chère Kenza,

À ton âge, tu joues encore les dimanches après-midi dans le jardin, sous le figuier que tu viens de planter avec maman, sous les rayons de ce Soleil de Drancy ou d’Algérie. Les étés sont longs, mais que de beauté lorsque l’on voit de belles lumières rosées. Avec Lounes et maman, tu dois adorer les sorties au parc, ou tu te fais des amis chaque après-midi, les goûters entourés des amies de maman, Khalti Malika, Taous et Rosa…

Ma petite chérie, ma petite Kenza, tu vois ta mère comme une maman ordinaire, une personne comme les autres t’apportant la paix et le bien, mais regardes mieux et regarde-la. Son sourire pour toi, ses yeux verts te surveillant, les gâteaux qu’elle apporte chaque fois, ses msemens, son attey et tant de moments partagés. Profite de chaque moment passé avec elle, respire son parfum et observe la plus longtemps, tu verras que yéma est une reine, et que toi, tu es une princesse. Malgré les épreuves du temps, la pluie qui t’angoisse, l’orage qui te fait peur, les matins nuageux que tu appréhendes, malgré les maladies et tes peurs la nuit, souviens-toi de ces instants, écrit-les et revis-les.

À travers tes grands yeux, tu vois la magie partout, et tu as bien raison. Ramdan est un père qui te porte jusqu’aux étoiles, Lounes est un soldat qui te protège des monstres que tu imagines derrière la porte de ta chambre, et Kamélia, ta meilleure amie, qui fera face au monde pour toi.

Pour toi, le monde est beauté, soleil et voyages. Pour toi, la pensée de tous ceux qui t’entoure est magie et bonté. Alors, comme toi, ils aperçoivent la magie de ces journées avec maman dans le jardin. N’oublie pas que ta vision est différente et émerveillée, que les couleurs que tu vois sont accentuées, que ta perception est occultée, et que ton amour pour ces instants ne sont pas une honte, mais une fierté.

Saches que, peu importe où tu iras, pays ou villes, de Tanger à Barcelone, de Tizi Ouzou à Amsterdam ou de Meknès à Rome, tu y verras ta maman, entendras sa voix, verras les lumières de ses yeux. Ses paroles, ses dou’as et ses blessures. Ces images, ne les enfouient pas, mais apprécie les, garde-les en mémoire tout en marchant dans ces ruelles, puis écris-les et envoie ces mots à maman.

Pour qu’elle voyage comme tu le fais, sourit comme tu souris, et rit comme tu riras. C’est à son tour de découvrir le monde à travers tes yeux.

Je t’aime fort petite fée des djinns.

 

Kenza Amoura

 

 

 

 

Chère petite catastrophe,

Je t’aime. Je t’aime, car tu es entière et rien ne t’arrive sans que toute ton âme ne soit touchée : bonheur ou malheur, tu vis tout à cent à l’heure. Aujourd’hui, tu le vois comme une faiblesse, mais crois moi, c’est ta plus grande force. Pleure, rit, crie, chante, prie. Aie peur, continue d’être maladroite, en bref : vis.

Je t’aime. Je t’aime, car aujourd’hui ce qui me rend la plus heureuse, c’est toi qui me l’as donné : tu m’as donné un rêve, une vie. Tu m’as donnée des passions et des envies.

Tu vas traverser des épreuves que tu n’imaginais même pas. Tu vas souffrir, mais crois moi, tu comprendras ta vraie nature après ça. Dieu va t’éprouver dans ce qui t’es le plus cher. Et c’est à ce moment-là que tu te découvriras. Je ne te demande pas d’être forte ou de passer cette épreuve haut la main. Je te demanderais seulement d’être toi. Que tu y arrives avec les honneurs ou pas, peu importe. Ce qui compte, c’est que tu prennes le temps de te rencontrer, de te découvrir.

Après ces épreuves, et surtout pendant, n’oublies pas Dieu. Reviens à lui. Écoute ton cœur, car lui seul entend les signes du Seigneur, et lui seul peut te les murmurer.
On te voudra du mal. En apprenant à aller vers l’autre, tu apprendras le rejet. En découvrant le monde, tu perdras ton innocence. En grandissant, tu seras animée par des sentiments nouveaux. Et parfois, tu perdras espoir. Ne le perds plus. Garde-le et continues à te battre pour tes idées. Aujourd’hui, j’aimerais avoir ta force et ton courage.

Enfin, je ne te dirais pas ce qui t’arrivera, car la vie est une merveilleuse aventure emplie de surprises. Peu importe ton objectif, rappelle-toi que ta quête, ton chemin, donnera de la valeur et de la saveur à tes victoires.

Contrairement à ce que tu penses, ton prénom ne veut pas dire « sensibilité » mais « sentiments ». Alors sois sensible avec les plus beaux sentiments, sois rudes avec les plus fermes sentiments, et sois vraie, avec tous tes sentiments.

Intimement toi.

Anonyme

 

Crédit photo : Lallab

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Portraits

Ndeye, une plume magnifique au service de la foi

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Vêtue d’un foulard turc et de boucles d’oreilles portugaises, Ndeye semble ouverte à toutes les cultures. Son parcours le confirme, ce qui ne fait que consolider l’inspiration de cette écrivaine, pour notre plus grand plaisir.

 

Un parcours atypique

 

Née à Aubervilliers, dans le 93, Ndeye a “migré dans une petite ville du 95, plus proche de la nature, moins du bitume”. Mariée, cette femme de 31 ans vient d’une famille nombreuse. Infirmière depuis 8 ans, elle exerce désormais dans un lycée professionnel, où se trouvent plusieurs élèves racisé·es, faisant face à de nombreux problèmes, certain·es étant des mineur·es isolé·es. “C’est important qu’iels soient entouré·es de personnes qui leur ressemblent et qui parlent leur langage” affirme Ndeye. Enrichie par cette expérience, elle est cependant moins payée qu’à l’hôpital. Son altruisme vient sûrement de son engagement dans le service jeunesse d’Aubervilliers. Baignant dans le monde associatif, avec une mère militante pour les droits des femmes africaines, Ndeye a coordonné plusieurs projets humanitaires. Ses nombreux voyages l’ont ainsi rendue de plus en plus “consciente de la pauvreté dans le monde”. Pourtant, elle semble l’être depuis son plus jeune âge, inspirée par son père.

 

Mais la militante en conclut qu’il vaut mieux “d’abord travailler chez soi”. Estimant que tout dépend des politiques menées par le gouvernement, “distribuer du riz et du pain” ne lui semble pas constituer de véritable solution sur le long-terme. “C’est dur de prendre cette claque, mais c’est important de faire preuve d’humilité et de s’interroger sur son pouvoir d’action”, explique cette ancienne militante qui a partiellement arrêté l’associatif. Elle considère que les personnes sans domicile fixe ont surtout besoin qu’on leur trouve des logements, pour une réinsertion sociale. “C’est pas ta petite chorba ou ton sandwich qui suffit à régler le problème”, affirme-t-elle. Ndeye regrette également la concurrence entre les différentes associations humanitaires, mais aussi le fait de culpabiliser les potentiels donateurs et donatrices. “En attendant, des gens vont mourir et notre devoir en tant que musulman·e·s, c’est de ne pas agir sans réfléchir”, rappelle-t-elle. Elle conseille notamment de construire des projets grâce à des formations gratuites. “Allah t’a donné une intelligence, mais lorsqu’Allah te demandera ce que tu en as fait, que répondras-tu ?” s’interroge-t-elle, déplorant le “manque cruel de solidarité et de conscience de l’autre”, alors qu’il est possible d’aider “en bas de chez soi, même un voisin ou la famille au bled”.

 

Ndeye. Crédit : Ndeye

 

Les relations humaines correspondent sûrement à l’une de ses plus grandes épreuves dans le milieu militant. “C’est compliqué d’interagir avec les gens, les intérêts et les ambitions ne sont pas forcément les mêmes, mais il faut quand même faire avec l’humain”, estime Ndeye, ayant été très engagée à Aubervilliers, ce qui l’a menée à la politique : “la plus grosse erreur de ma vie”, rit-elle. La jeune femme s’était lancée avec le Front de Gauche parce qu’elle considérait que “tout le monde était animé par le don de soi. Je croyais au côté communiste”, confie-t-elle, avant de dévoiler sa déception. Elle avait notamment organisé un concert rassemblant les groupes de rap de chaque quartier d’Aubervilliers, afin d’atténuer les tensions et de récolter des dons, grâce aux grands frères des quartiers. Au même moment, tous les responsables de l’animation ont été convoqués pour une réunion d’urgence. “Je tombe de super haut mais certains ne s’y rendent pas, je les remercierai toute ma vie” admet-elle. Elle ne regrette cependant pas cette expérience qui l’a forgée. Elle était perçue comme trop “grande gueule”, ce qui ne plaisait pas, surtout pour une femme musulmane et noire. Elle rit aussi de la fétichisation du voile, de la volonté de voir ce qui s’y cache. “Pourtant, parfois, on est juste cheum en-dessous [moche en verlan, ndlr]”, rit-elle.

 

Des missions humanitaires aux quatre coins du monde

 

Ndeye se souvient de sa toute première mission humanitaire, au Burkina Faso, durant son stage d’étudiante infirmière. “Tous les jours, au moins deux enfants mouraient, on se retrouvait paradoxalement dans le premier pays producteur de coton mais sans coton à notre disposition”, dévoile-t-elle. La chirurgie s’effectuait sans anesthésie, certaines personnes mouraient dans la cour de l’hôpital, ressemblant à une maison, dans laquelle les patients attendaient, sous un soleil de plomb. “Je me demandais ce que je faisais là, c’était beaucoup trop de violence”. “Vous les Français, vous nous prenez pour une poubelle !” s’énervait l’un des infirmiers burkinabés auprès de Ndeye. Elle explique que les centres hospitaliers français envoient du matériel, mais périmé depuis plusieurs années. En l’espace de cinq jours, tout ce qui avait était envoyé dans huit valises était utilisé. “On a un réel problème dans notre façon de considérer les Africain.e.s” déplore-t-elle. Six mois après, Ndeye a connu une dépression (un syndrome post traumatique) Sa formatrice lui a demandé si ça allait, remarquant la chute de ses notes, mais l’étudiante s’effondre, ayant assisté au décès d’un enfant burkinabé, après trois semaines de lutte acharnée pour le maintenir en vie. “Son père était hyper touchant, il avait tout vendu pour se procurer des antibiotiques”. Juste avant de mourir, cette fille semblait guérir. “Lorsqu’elle est morte, je suis sortie dans la cour, à deux doigts de crier, je marchais vers le palais présidentiel, je voulais les tuer”, confie-t-elle, avant d’être raisonnée par ses camarades.

 

Quelques années plus tard, Ndeye se rend dans une réserve indienne au Québec, suite à une marche organisée en 2012 par la communauté algonquine (anishnabé étant le dialecte indien) Il s’agissait d’un projet de reconstruction de cabanes dans les bois, difficile puisque cette communauté est délaissée par l’Etat. “Ces personnes sont confrontées à un dilemme : rester rouge ou devenir blanc·he”, puisque dans la loi, la citoyenneté canadienne semble incompatible avec le statut “d’indien·ne”. “T’es pas immigré·e, t’es dans ton pays mais tu ne peux pas voter”, regrette Ndeye. Au Québec, il faut attendre 1969 pour que les Autochtones bénéficient du droit de vote, ce qui ne gomme pas pour autant les nombreuses discriminations auxquelles iels font face. Ndeye s’est donc retrouvée dans une réserve durant un mois, sans eau courante et sans électricité. “Je me lavais dans un lac, mais j’allais très loin pour ne pas être vue sans mon voile”, rit-elle. La jeune femme s’est aussi rendue deux fois en Palestine, à Madagascar, en Tunisie et au Maroc, pour du bénévolat dans un orphelinat de Taroudent. Il s’agissait de s’occuper des enfants de rue dépendants de la colle et des jeunes filles prostituées. “La présidente de l’association AHLI m’a confié qu’elle refusait de se marier pour s’occuper de ces enfants, c’est mon héroïne”. Ce médecin offrait gratuitement des consultations à ces enfants.

 

L’écriture en guise de thérapie

 

Texte de Ndeye sur le Ramadan. Crédit : Page Facebook de Ndeye Papillon

 

L’artiste commence à écrire au lycée. “J’ai honte de l’avouer, mais c’était du rap, des textes animés par la colère, que mon frère trouvait nuls”, rit-elle. J’ai l’impression de mieux écrire quand je me sens mal, c’est comme une thérapie”. Elle est encore très touchée par l’émotion que ses textes peuvent susciter chez des inconnu·es. “Une femme m’a dernièrement contactée pour me rencontrer, lisant mes textes depuis deux ans, en me disant que ça l’avait beaucoup aidée à sortir d’une épreuve”, dévoile l’écrivaine, encore plus touchée par le fait que cette femme soit athée, puisque les textes de Ndeye parlent souvent de Dieu. “Les mots ont énormément de pouvoir, aussi bien positif que négatif, c’est mon oxygène”. Ses écrits sont très liés à sa foi, qu’elle considère complète lorsqu’elle est présente dans chaque fait et geste. “C’est pas juste les cinq prières”, mais aussi ce qui ne semble pas avoir de caractère religieux, ce qui se ressent dans le for intérieur. “On a tous des moments où on se sent hyper proche de Dieu, en plénitude, tellement rempli·e par la foi qu’on ne ressent aucune gêne”, évoque-t-elle, très émue.

 

Texte de Ndeye sur le racisme. Crédit : Page Facebook de Ndeye Papillon

 

Dans certains textes, elle mentionne aussi le racisme. “Même si l’intention n’est pas là, plein de comportements l’entretiennent et ça n’est plus acceptable”, considère Ndeye, qui en parle pour alerter, ce qui dérange parfois ses proches, blanc·hes ou arabes. La Franco-Sénégalaise a grandi dans une cité où l’écrasante majorité des habitant·es étaient nord-africain·es, “du pharmacien à l’épicier, en passant par le marchand de glaces, je comprenais même le dialecte algérien !” rit-elle. Mais Ndeye était perçue comme la “petite kahloucha [terme péjoratif pour parler des noires, ndlr]” par certains parents de ses amies. Cela la touche profondément. Cette femme continue cependant de répandre sa sagesse sur son profil Facebook, Ndeye Papillon, en attendant d’autres projets, inshAllah.

 

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Portraits

Jamila Bensaci : enseignante le jour, poétesse la nuit

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Concernant la condition des femmes, on est à moitié victime, à moitié complice.
Complexe et sincère, cette affirmation résume bien les écrits de Jamila Bensaci, enseignante de français le jour et poétesse la nuit.
On peut la lire dès à présent sur son blog, « Mes nuits au singulier », et découvrir ses prestations scéniques poétiques lors d’événements tels que les scènes ouvertes Um’Artist ou le Lallab Birthday, le festival féministe de Lallab.
J’ai souvent écrit pour survivre, me libérer d’angoisses, supporter les choses douloureuses que j’ai pu vivre, j’écrivais essentiellement de la poésie. Ça s’y prête bien, tu écris sur le moment ce que tu ressens.

 

Mais c’est avec impatience qu’on attend les sorties prochaines de son roman en cours de finalisation et de sa pièce de théâtre « le Roi des Connards » dont la mise en scène est prévue pour l’année prochaine. 

L’écriture du roman est venue dans un deuxième temps, j’avais besoin d’un peu de maturité en tant qu’artiste, et même en tant que femme pour écrire de manière plus disciplinée et plus cohérente, ne pas rester sur le mode de l’exutoire. Désormais, je ne suis plus uniquement dans l’expression d’une intériorité, mais c’est tout ce que je vois autour de moi, ce qui me ravit ou me révolte, qui est mis au service de l’écriture. 

 

Si pour l’artiste, l’ « expression artistique se suffit à elle-même » et « l’œuvre ne doit pas seulement être didactique », il y a une part d’engagement non-négligeable dans son travail. Cet engagement se comprend aisément lorsqu’on entend Jamila affirmer :

J’ai tendance à mettre l’empathie au centre de mes créations.

 

On ressent d’ailleurs, à la lecture de son blog par exemple, beaucoup de proximité avec ses personnages. Les thématiques abordées collent au quotidien familial vécu par l’auteur ou relaté par ses proches amies ou élèves.

 

Dans la pièce de théâtre, il s’agit de donner à voir « les questions psychologiques et sociales au sein du microcosme de la famille : la relation fraternelle dans les familles maghrébines et le rapport à la mère changeant selon le sexe. Ainsi que la question de la mixité dans les relations amoureuses » .

 

Le roman, qui se veut plus léger dans le style de l’écriture, relate les « histoires croisées de quatre jeunes filles de banlieue qui vont se sauver mutuellement des problématiques sociales et personnelles qu’elles rencontrent par leurs liens d’amitié ».
La relation à la mère est la thématique centrale qui revient en ligne de fond, car pour l’auteure, « c’est le fondement de notre féminité ». 

Ma relation avec ma mère m’a permis de devenir une femme telle que je voulais que je sois une femme, mais aussi de m’affranchir de tous les idéaux qu’elle voulait plaquer sur moi. […] J’aime ma mère plus que tout au monde, mais comme toutes les mères, elle m’a aussi fait du mal parfois et je ne voulais pas perdre cet aspect-là qui fait partie des relations mères-filles. 

 

La condition des femmes de fait, une thématique associée. 

On est beaucoup responsables de la situation dans laquelle on est, […] les femmes passent leur temps à se crêper le chignon. J’avais envie de parler de ça. […] Mais en même temps, il y a beaucoup de femmes qui m’ont aidée voire sauvée. C’est assez contradictoire. Énormément de femmes, plus que les hommes, m’ont tirée vers le haut, m’ont aidée à affirmer ma féminité, m’ont aidée à m’exprimer. Mais dans le même temps, il y a les femmes qui nous tirent vers le bas. Dans la figure de la mère, tu as cette dualité. 

 

Crédit Lallab : Festival féministe LallabBirthday

 

Enfin, en tant que femme musulmane écrivant des histoires de femmes parfois musulmanes, l’auteure est également révoltée par l’image simpliste diffusée dans les médias et demande à tout un chacun de « regarder les femmes musulmanes, de les regarder vraiment et non pas à travers des lunettes floutées par le filtre médiatique. Juste un regard humain ». Elle affirme que « l’art sera primordial pour redonner à ces femmes la dignité qu’elles méritent ».

Ce que je souhaite, c’est qu’à l’intérieur de la communauté et à l’extérieur, on arrête de dire aux femmes musulmanes comment elles doivent se comporter, qu’on arrête de penser qu’il y a une uniformité. 

 

Dans sa pièce, Jamila Bensaci a eu la « volonté de mettre en scène des personnages musulmans non-uniformes, non voilées, qui ne sont pas caractérisées par leur islamité, il se veut qu’elles soient musulmanes, mais ce sont surtout des femmes. »

J’ai voulu dire qu’au-delà de ce qu’il y a de douloureux, de difficile au nom de soi-disant de l’Islam, de valeurs religieuses, [mon héroïne] n’abandonne pas pour autant sa croyance et ses traditions. Je suis contre les représentations manichéennes. J’ai voulu un personnage qui rejette l’oppression tout en revendiquant sa spiritualité. Et là pour le coup, c’est totalement autobiographique. Je suis révoltée par un islam qui empêche d’être belle, féminine, indépendante, et dans le même temps, je suis attachée à certaines valeurs. 

 

Enfin, l’engagement de Jamila relève aussi de la résistance à la souffrance. 

 

Je considère que l’art, c’est un espace de consolation fantastique quand on souffre. Un ami m’avait conseillé de faire sortir quelque chose de beau de tout ça et c’est vraiment ce que j’ai envie de faire. Les choses douloureuses que je vois, que je vis, qu’on me raconte, face auxquelles je me sens impuissante, c’est horrible de se sentir impuissante face à la souffrance, il reste l’art et j’essaie d’en faire jaillir quelque chose de beau, c’est ambitieux, mais j’essaie. 

 

Pour affronter ses difficultés, la poétesse attend donc la nuit pour se révéler. 

Quand je prie et que je me retrouve seule au beau milieu de la nuit, et que je parle à Dieu, il y a cette certitude, et toujours un doute tout de même, où on est dans une intériorité, une intimité complète. Il y a aussi cette sensation quand je lis un poème qui me touche, qui me plaît, on rentre en connexion avec des choses invisibles. Par exemple, en lisant un poème de Baudelaire, je suis émue, touchée, je saurai pas forcément dire pourquoi, je vais toucher des choses qui sont pas palpables, on parle à Dieu, on a des réponses qui sont pas explicables, visibles, palpables, tout est question d’interprétation et quand on lit un poème, quand on écoute une chanson c’est pareil, on sait pas forcément dire pourquoi, on a des réponses parfois, on a des réponses, pas verbales comme on les attend […] mais je me sens apaisée.

 

 « La prière est de la poésie, le Coran, c’est de la poésie. Le Coran parle et il fait parler. »


Il faudra donc lire les écrits disponibles et attendre les prochains à venir pour découvrir ce que l’artiste a bien voulu partager de ses révélations nocturnes. Et on la remerciera également de nourrir notre imagination qui complétera ce que, délicatement, elle a préféré confier uniquement à la nuit. 

 

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Diffuse la bonne parole

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