Le baiser du Ramadan ou le récit d’un parcours féministe, musulman et décolonial

par | 25/06/18 | Portraits

Myriam Blal est l’auteure du livre Le baiser du Ramadan.
Cet ouvrage aborde un moment précis de la vie de Myriam, lorsqu’elle décide d’épouser Maxime, un homme français de confession chrétienne.
Les récits similaires ne courent pas les rues, alors qu’il s’agit là des seules armes pratiques à même de contrer les discours dominants dans notre pays, en matière d’interreligieux.
Cette histoire illustre une des multiples façons de (ré)concilier activement plusieurs identités, quand on vit en France. La réussite de cette entreprise est imputable à l’honnêteté, à la soif de savoir et à la foi humaine de Myriam, soutenue par des allié·e·s bosseurs·euses et aimant·e·s, prêt·e·s à se remettre en question.
Si vous n’avez pas encore votre exemplaire en poche, lisez la suite : celle-ci devrait finir de vous convaincre !

 

Pour introduire son témoignage, Myriam raconte d’abord l’histoire des siens. Elle dénonce, entre les lignes, l’absence d’accompagnement dont a souffert sa famille venue de Tunisie, lors de son arrivée sur le territoire français. Aucune aide à l’orientation pour les enfants, pas d’évènement où la diversité soit célébrée, pas de guide pratique pour connaître ses droits et devoirs…

Par conséquent, entre les parents de Myriam et la France, aucun pont culturel ni cultuel n’aboutit. C’est ainsi que se produit pour eux une sorte d’arrêt sur image, quant à la possibilité de consolidation d’une identité multiple.
Myriam raconte alors comment son enfance en sera dichotomique, rythmée par :

• d’une part, une injonction à la réussite scolaire, qui représente la seule valeur quantifiable pour ses parents, et démontre la capacité des enfants à faire partie du « système » français ;

• d’autre part, une injonction au respect indiscutable des mœurs familiales. Ce baromètre maternel prouve la capacité des enfants à faire partie de la communauté tunisienne.

Cette dissonance imposée par les sociétés que traverse Myriam la suivra partout : à l’université, au Maroc, en Tunisie, avec ses amis, ses amants, sa famille… A plusieurs reprises, ses identités seront menacées et confisquées.

Jusqu’à ce jour béni où Maxime et elle se rencontrent. Le couple alors formé devient un espace bienveillant et sécurisant, permettant à Myriam de chercher et trouver les moyens de s’apaiser, allégeant ainsi le poids de cette dissonance.

Mais… pas si vite, mon petit ! Une musulmane et un chrétien, c’est IN-TER-DIT. Les boucliers des deux familles se lèvent contre l’altérité. Le mariage n’aura pas lieu !

Pourtant, Myriam est convaincue du bien-fondé de son histoire et va se mettre au défi de le prouver. Indéniablement, son ijtihad [1] s’inscrit dans une démarche musulmane, féministe et anti-raciste, et ce pour les trois raisons exposées ci-dessous.

 

Se réapproprier sa religion

 

Se fondant sur la religion, les parents de Myriam refusent de bénir son union. Sans vraiment expliquer pourquoi ils s’y opposent, ils lui répètent alors que cette union serait haram (« illicite », « interdite » en islam).

Je connais bien cette situation, dans laquelle il n’est pas question de discuter ce que te disent tes parents. Dans la culture arabo-musulmane, l’une des façons d’exprimer le respect filial consiste à ne pas contredire frontalement ses aîné·e·s.

Alors, comme Myriam, il m’arrive de rester sur ma faim quand je leur parle de sujets socialement épineux – en particulier, tu l’auras deviné, l’islam. Je me jette alors sur mon ordinateur, cherchant désespérément des éléments de réponse qui pourraient expliquer leur comportement, et justifier leurs inquiétudes.

Myriam Blal rencontre la même difficulté, face à la question : « Pourquoi une femme musulmane ne peut-elle pas épouser un homme chrétien ? ».

Sur internet, elle tombe sur des injonctions morales, des hadiths peu fiables, ou encore des récits désespérés et désespérants de femmes qui, comme elle, sont à la recherche de réponses.

Une musulmane ne peut pas tomber amoureuse d’un non-musulman. C’est comme de dire « ma sœur est tombée amoureuse d’un dauphin » […] Ta sœur n’est pas musulmane, ou alors elle n’a rien compris à l’islam, ou alors elle est folle.
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Tu l’auras deviné, Myriam ne trouvera pas de réponses concrètes, claires et sourcées à son questionnement théologique. Pour dépasser ce type de discours, elle décide d’aller plus loin.

Du Caire à Oman, elle envoie des e-mails aux oulémas, parcourt les bibliothèques pour déchiffrer les écrits supposés constituer la source de son malaise. Elle s’entretient avec des théologiens pour démêler l’histoire originelle des récits dérivés.

Enfin, Myriam trouve réponse à sa question. Elle découvre l’enchainement historique qui a conduit à l’interdiction légale du mariage interreligieux lorsque la femme est musulmane.

Cette recherche lui permet d’approfondir sa connaissance de la religion et d’assoir sa position, en tant que musulmane actrice de sa pratique. Ce repositionnement central est crucial à l’heure où le discours religieux est :

• soit confisqué par les médias, pour en diaboliser jusqu’à la dernière virgule. Je rappelle ici que le discours religieux appartient d’abord à celles et ceux qui se réclament de la religion en question ;

• soit déformé par les tentacules du patriarcat. Je rappelle là aussi que les intermédiaires, en particulier les imams, n’ont qu’un rôle de conseil, et n’interfèrent pas dans la relation du·de la musulman·e avec son Dieu.

La reconquête de la religion par les femmes et pour les femmes est donc un enjeu majeur de la conciliation que Myriam a entamée.

 

« C’est seulement lorsque nous sommes silencié·e·s que nous réalisons l’importance de nos voix » / Source : india.com

 

Produire une interprétation située et contextualisée

 

En recherchant la source de l’interdiction du mariage entre une musulmane et un chrétien, Myriam décortique minutieusement le contexte, les rapports de pouvoir, les rôles associés aux femmes et la place de l’argent, au temps où fut produite une telle interprétation.

Très vite, elle comprend la nécessité de proposer des interprétations nouvelles. En effet, le contexte justifiant l’interdiction d’alors ne correspond pas à la réalité de sa vie aujourd’hui. La règle n’est simplement plus pertinente, et c’est naturellement que l’interdiction s’assouplit au vu des conditions et modes de vie contemporains.

Avec humilité et courage, Myriam s’engage vers de nouvelles voies pour produire une exégèse située. Elle fera partie des Foyers islamo-chrétiens – le genre de groupes tellement bienveillants que tu ne les verras jamais ni sur ton fil Facebook, ni dans ta recherche Google –, et cherchera à éclairer d’une lumière nouvelle les textes qu’elle a lus.

Grâce à la concertation entre pratiquants et à la consultation de grands spécialistes musulmans et chrétiens ainsi que de membres du Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche (CEFR), Myriam peut interpréter le texte de façon honnête, et en cohérence avec sa pratique et son expérience de femme musulmane dans la société actuelle.

 

Visibiliser d’autres discours : perspective pro-choix et nouvel imaginaire

 

Certes, l’interprétation contextualisée fixe un nouveau cadre de pratique religieuse, mais encore faut-il inventer les modalités d’exécution de cette nouvelle interprétation.

Avec l’aide de Maxime, Myriam réfléchit à une représentation concrète véritable pour son couple dans la société. Guidée par les liens sacrés du mariage, elle met en place des rites inclusifs pour sa cérémonie, programme des discours interreligieux apaisants entre autorités chrétiennes et musulmanes.

Dans sa vie maritale, elle communique beaucoup avec Maxime, pour trouver des solutions claires aux contraintes pratiques liées, par exemple, à la consommation d’alcool ou de porc dans le foyer conjugal.

Dans son livre, Myriam partage non seulement sa propre histoire, mais elle en visibilise également d’autres. En effet, la dernière partie de son récit est un condensé d’exemples, de représentations multiples, de réponses pratiques mises en œuvre par d’autres personnes dans des situations similaires.

 

« Nous aussi, nous pouvons le faire ! » par Soufeina – Tuffix / Source : telenews.pk

 

Bref, tu l’auras compris, Myriam Blal partage le témoignage sincère d’une histoire de couple, mais son livre va en réalité bien au-delà : c’est un recueil indispensable pour outiller l’imaginaire collectif quant aux possibilités de l’interreligieux en France.

Il donne à voir des réponses contemporaines à une question trop souvent mise de côté.

Il visibilise un espace bienveillant dans lequel chrétiens et musulmans existent et vivent en amour et en harmonie. Et bon sang que ça fait du bien…

Alors, pour tout cela : merci à vous, Myriam Blal !

 

Photo de l’auteure Myriam Blal

 

[1] Effort de réflexion pour interpréter les textes fondateurs de l’islam, en déduire le droit musulman, ou informer le·la musulman·e de la nature d’une action (licite, illicite, réprouvée etc.).

 

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