Professeure et voilée

par | 25/03/19 | Nos Voix

A l’occasion du Muslim Women’s Day 2019 ayant pour thème l’éducation et les femmes musulmanes, je souhaitais partager avec vous mon expérience en tant que professeure de l’Education Nationale au lycée portant le hijab.

 

Tout d’abord, lorsque j’ai passé mon concours et durant mon année de stage, je ne portais pas encore le voile. Cependant, j’étais une jeune maghrébine avec un petit accent de banlieue, au milieu d’une salle des professeur·es majoritairement blanche, et dont la plupart ne provenait pas du même milieu que moi.

J’ai décidé de m’ajouter un dernier supplément bonus en décembre lors de ma deuxième année : mon hijab !

 

Alors pour être honnête, mon cheminement vers le voile s’est fait de manière très progressive. Avant de mettre le hijab, je suis passée par une phase bonnet puis turban pendant plus de six mois.

Symboliquement, pour moi, enlever mon bonnet ou mon turban, soit dans ma voiture, soit en entrant dans l’établissement ne me dérangeait pas. Je n’en étais pas encore au stade de mutation finale (Oui comme un Pokémon !). D’ailleurs, je n’y suis toujours pas… D’ailleurs, je ne pense pas qu’il existe…

Dans mon for intérieur, en portant un turban ou un bonnet, je me laissais la possibilité de faire machine arrière sans provoquer des remarques de la part de mon entourage. C’est pour cette raison que j’avais une facilité et une certaine décontraction à l’enlever.

 

Lorsque, pendant les vacances de Noël, j’ai décidé en mon âme et conscience de porter le hijab pour toutes sortes de raisons mais avant tout pour Dieu, je me suis retrouvée à appréhender le jour de la rentrée. Pas parce que je n’avais pas fini de corriger les contrôles de mes élèves ! Non cela, ils en avaient déjà l’habitude !

Mais j’appréhendais de passer en voiture devant mes élèves agglutinés devant le portail et qu’ils me voient avec un voile.

J’appréhendais de me retrouver sur le parking des professeur·es et de rencontrer un·e collègue avec mon voile.

J’appréhendais d’enlever mon voile si fièrement mis le matin en sortant de chez moi.

J’appréhendais de sortir de ma voiture tête nue et de passer la journée, retrouver mes élèves en classe et mes collègues en salle des professeur·es sans mon voile.

J’appréhendais de terminer ma journée, de sortir du lycée et retrouver très vite ma voiture où je remettais mon voile comme si j’avais été en apnée toute la journée sans mon voile, sans mon oxygène.

 

Pour faire court, toutes ces appréhensions étaient devenues ma réalité et mon quotidien.

 

Crédit photo : Namirahsketches

 

Au début, j’ai été chanceuse car c’était l’hiver. Il pleuvait, neigeait, faisait froid. Je pouvais enlever mon voile dans la voiture mais le remplacer par un bonnet ou une écharpe que je mettais sur mes cheveux (pour ne pas abimer mon brushing imaginaire !)

En salle des professeur·es, je me permettais de garder mon « écharpe » sur mes cheveux ou un bonnet ou un turban.

 

Mes collègues étaient-ils au courant ? Sûrement car ils me voyaient dans le parking ou la salle des professeur·es et que clairement je n’ai pas la tête d’une Anne ou d’une Nolwenn. Cependant, je n’ai jamais eu de remarque. En tout cas, jamais frontalement !

Une fois, j’ai eu une remarque tellement détournée que je ne sais toujours pas si c’était volontaire ou non.

J’étais en salle des professeurs avec un turban sur l’ordinateur.

Une professeure d’histoire vient me voir (alors que l’on ne s’est presque jamais parlé…), me salue en regardant mon turban. Je me justifie (et je regrette de l’avoir fait) en lui disant que mes cheveux ont gonflé à cause de la pluie ! Ce n’était pas un mensonge en plus ! Elle ne répond rien. Mais elle enchaîne sur une anecdote personnelle. Elle me raconte qu’une fois, elle faisait cours à des collégiens sur les trois religions monothéistes et notamment l’Islam. Cette collègue m’explique qu’après avoir remis en cause un dogme dans l’Islam. Un élève se lève, s’énerve et crie contre la professeure (elle m’a bien sûr laissé deviner son origine).

Sur l’anecdote, je ne la remets pas en cause et je ne remets pas non plus en question la mauvaise réaction de cet élève (bien que compréhensible mais sûrement, selon les dires de cette professeure, disproportionnée).

Néanmoins, je me suis toujours posée une question : Comment son cerveau a-t-il réussi à faire un lien entre mes cheveux qui gonflent coincés dans un turban et cette anecdote ?

 

Aujourd’hui, je ne travaille plus pour l’éducation nationale. J’ai cheminé spirituellement. Et l’éventualité d’enlever mon voile, que l’on m’oblige à arracher une partie de moi pour aller travailler m’est difficilement supportable.

Même si ce métier est vraiment passionnant.

Même si enseigner à des élèves qui me ressemblaient était et est toujours important pour moi.

Même si les élèves (quoiqu’on en dise) nous le rendent bien.

Je ne me sens pas la force d’abandonner ce bout de tissu qui fait tant débattre.

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