10 conseils pour parler d’islam avec des musulman·e·s

par | 23/05/18 | (Dé)construction

 

Lorsque je parle d’islam avec une personne qui n’est pas musulmane, la conclusion est souvent la même : elle est contente d’avoir pu discuter (je suis plus sympa dans la vraie vie que dans mes articles 😉 ), car ces moments d’échange et de dialogue sont rares. Or, malheureusement, ce sont souvent les personnes les mieux intentionnées qui osent le moins aborder le sujet. Pourtant, la majorité des musulman·e·s seraient heureux·ses de parler de leur foi – du moment, bien sûr, que c’est bien un échange, et non pas un réquisitoire où nous devons nous justifier. Voici donc dix conseils pour nous apprivoiser avec tact et engager une conversation constructive.

 

Jauger la situation et ce que vous pouvez vous permettre de demander

 
En tant que musulmane, je suis souvent désarçonnée par l’indiscrétion des questions qui me sont posées par des personnes que je ne connais pas ou presque. Mon premier conseil serait donc de vous demander si les liens que vous avez avec cette personne vous permettent vraiment de lui poser cette question sans la mettre mal à l’aise. Un bon moyen peut être de retourner la situation : si cette personne vous posait une question similaire, comment est-ce que vous vous sentiriez ? Bien sûr, ça ne veut pas dire qu’il faut avoir fait trois soirées pyjama avec la personne concernée pour lui poser la moindre question. Mais aborder la fille qu’on a vue au service du 3ème étage pour lui demander de but en blanc pourquoi elle « ne boit pas d’alcool aux soirées du personnel alors qu’aux infos ils ont dit qu’un verre c’était bon pour la santé », ça peut être lééégèrement intrusif.

 

Accepter que la personne en face de vous n’ait pas forcément envie de répondre

 
Il y a une différence entre poser une question et exiger une réponse. Et il peut y avoir une multitude de raisons pour lesquelles votre interlocuteur·trice n’a pas envie de vous en fournir une. Tout d’abord, peut-être que c’est un sujet intime, et qu’il·elle n’a pas forcément envie d’en parler, ou d’en parler avec vous (… désolée). Il se peut aussi que le sujet soit complexe, et qu’il requière plus que les 2 minutes que vous avez devant vous. Personnellement, c’est ce que je ressens quand on me pose par exemple LA question – « Pourquoi tu portes le foulard ? » – et que la personne en face de moi s’attend à une réponse en 47 secondes, alors que ça représente deux années de cheminement et un tas de raisons entremêlées. Une dernière raison possible, c’est tout simplement la lassitude : quand on nous pose encore et toujours les mêmes questions (et pas toujours subtilement), oui, il y a des moments où on a la flemme de répondre. Je ne vous cache pas que j’ai déjà rêvé d’un fascicule que je pourrais distribuer pour répondre à la fameuse question sur mon foulard…

 

Accepter que votre interlocuteur·trice ne connaisse pas la réponse

 
Parfois, on nous pose des questions extrêmement pointues, comme si nous étions tou·te·s théologien·ne·s. Nous ne décidons pas d’être musulman·e après avoir étudié le droit musulman et la jurisprudence, mais parce que nous ressentons un amour pour Dieu et pour toutes les valeurs que notre Prophète (que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui) nous a transmises. Vous ne savez pas non plus à quel stade la personne en face de vous en est de son cheminement. Il est donc possible qu’elle ait peu de connaissances, surtout sur des points qui vous intéressent mais qui ne la concernent absolument pas. Par exemple, je me suis renseignée sur la question de la polygamie pour répondre à des questions qu’on me posait, mais ça ne m’avait jamais particulièrement intéressée, puisque je ne l’avais jamais vue pratiquée et que cela me paraissait bien loin des questions liées à ma réalité et à ma foi au quotidien. Ca ne veut pas dire que votre interlocuteur·trice est stupide, ou qu’il·elle suit une religion aveuglément, mais qu’il·elle y a trouvé des bénéfices spirituels et éthiques, et qu’il·elle chemine à son rythme pour approfondir ses connaissances. En lui permettant de dire « Je ne sais pas » sans prendre le risque d’être agressé·e, vous éviterez qu’il·elle réponde n’importe quoi juste pour garder la face.
 

Des étudiant·e·s américain·e·s tiennent un stand pour encourager leurs camarades à venir leur poser leurs questions sur l’islam / Crédit : Oona Goodin-Smith / USA Today

 

Ne pas chercher à juger et/ou à convaincre

 
Ce que vous obtiendrez de la conversation dépendra très fortement de l’intention avec laquelle vous vous y engagez. Si, même inconsciemment, vous prenez la position d’un·e juge et placez votre interlocteur·trice dans celle d’un·e avocat·e dont le rôle est de défendre l’islam et l’ensemble des musulman·e·s, il·elle le ressentira forcément et vous pourrez dire adieu à toute discussion constructive. L’intention doit être de comprendre, pas de juger ou de déterminer, en fonction de la réponse de la personne en face de vous, si sa pratique et ses croyances sont légitimes ou non à vos yeux. Soyons d’accord pour ne pas être d’accord…

 

Montrer et expliciter l’intention qui vous anime

 
Si votre intention est sincèrement d’assouvir votre curiosité et de mieux comprendre la foi et la pratique de votre interlocuteur·trice, n’hésitez pas à le lui faire savoir pour poser les bases d’un rapport apaisé. En tant que musulman·e·s, nous sommes constamment sommé·e·s de nous justifier ; pour ne pas être mis·es encore une fois sur le banc des accusé·e·s. nous pouvons parfois éviter toute conversation sur l’islam. Ce n’est donc pas un détail de nous faire savoir – et sentir – que nous ne sommes pas face à quelqu’un qui attend le moindre mot de travers pour nous piéger et nous condamner. Personnellement, je suis toujours touchée par le tact de celles et ceux qui cherchent sincèrement à trouver les bons mots, qui ont un vrai souci de ne pas me blesser. Lorsque j’entends « Désolé·e, je vais peut-être être maladroit·e, mais je cherche vraiment à comprendre », mes épaules se détendent et je suis prête à parler avec mon cœur.

 

Formuler une VRAIE question

 
Souvent, lorsqu’on me pose des questions au sujet de l’islam, ce sont en fait des opinions déjà toutes faites qu’on me présente en attendant que je les confirme ou les démente, arguments à l’appui. A l’inverse, poser une question ouverte, comme « Pourquoi ? » ou « Que penses-tu de », ouvre plus de portes que « Est-ce que » ou « C’est vrai que… ? ». Ces dernières formulations impliquent tout de suite une idée déjà conçue, et amènent votre interlocuteur·trice à se positionner par rapport à elle. Cela s’applique aussi au sujet : si vous demandez à un·e musulman·e ce que lui apporte sa spiritualité, ce qui est important dans sa religion, etc., il y a peu de chances qu’il·elle aborde les sujets que vous auriez peut-être choisis vous-mêmes, et qui sont souvent largement influencés par les médias et les polémiques ambiantes. Eh oui, car nous avons un scoop : être musulman·e ne se résume pas à jeûner pendant Ramadan, à porter un voile ou une barbe, et à se prononcer pour ou contre le terrorisme mené au nom de l’islam…

 

Bien choisir les mots employés

 
Certains mots ont le pouvoir de déclencher une alarme dans notre tête, ou de nous faire nous mettre sur nos gardes sans même que vous réalisiez que vous avez dit quelque chose de problématique.

 

Feel Kenny GIF - Find & Share on GIPHY

 

Cela peut être des mots connotés négativement, ou exprimant un jugement. Honnêtement, lorsque quelqu’un me demande si le jeûne de Ramadan, ce n’est pas « débile » ou « cruel », et qu’on me dit que c’était de la simple curiosité, sans préjugé, je me demande si on parle bien la même langue. Mais mon exemple préféré reste tout de même les phrases « je-pas-mais » : si quelqu’un me dit « Je suis pas raciste, mais… », c’est comme s’il me donnait un énorme warning disant : « ATTENTION JE VAIS TE SORTIR UN TRUC SUPER RACISTE ». Du coup, évitez d’amorcer la conversation par un délicat « J’ai rien contre les musulmans, mais »

 

Accepter le ressenti de la personne concernée sans le remettre en cause

 
Et ce, même si sa réaction vous semble « exagérée », « parano », etc. Qui que vous soyez, vous ne partagez pas sa situation, que ce soit sa religion, ses origines, son apparence physique, sa sensibilité, son histoire personnelle – bref, toutes ces choses qui font que son vécu lui est propre et qu’elle est la plus légitime à déterminer ce qui est la réaction la plus appropriée.  Elle a fait l’effort de s’ouvrir à vous et de vous confier des choses qui sont sans doute intimes, votre rôle n’est pas de la juger ou de lui infliger une violence supplémentaire en niant son droit à ressentir certaines émotions. Sincèrement, je suis toujours effarée de voir la condescendance avec laquelle des personnes qui ne partagent pas mon vécu balaient d’un revers de la main ma légitimité à définir ce qui me pose problème, me révolte ou me blesse.

 

Ne pas forcément se sentir visé·e

 
Il est possible qu’au cours de votre conversation, la personne en face de vous critique des comportements dans lesquels vous vous reconnaissez. Ne voyez pas ça comme une attaque (il·elle n’en sait d’ailleurs peut-être rien), mais comme une opportunité de comprendre ce qui est blessant pour les personnes concernées, et savoir comment être plus attentif·ve à l’avenir. Ce n’est donc pas nécessaire de chercher à vous justifier, cela donnerait seulement l’impression que vous cherchez à légitimer un comportement problématique. Au pire, ne dites rien, prenez note et corrigez le tir les prochaines fois.

 

Garder à l’esprit qu’il s’agit d’UN avis parmi tant d’autres

 
Un piège peut être de se dire que l’on a parlé avec des musulman·e·s, et que l’on connaît donc « leur » opinion. Rappelez-vous que nous sommes presque 2 milliards sur Terre, plusieurs millions en France, et qu’il existe une palette extrêmement diverse d’interprétations et de manières de vivre notre foi, y compris entre des personnes qui peuvent vous sembler similaires. Il faut être vigilant·e pour ne pas généraliser le vécu ou les opinions de quelques personnes avec qui on aurait échangé – surtout dans le contexte actuel, où l’on essaie de faire croire que nous sommes un bloc monolithique. Gardez également un esprit critique, car même avec les meilleures intentions, nous pouvons dire des choses erronées – car nous aussi, nous avons encore beaucoup de choses à apprendre sur l’islam…

 

Image à la une : pour lutter contre les préjugés, la chanteuse Mona Haydar offre aux passant·e·s des donuts, du café, des fleurs, et une occasion de discuter avec des musulman·e·s / Crédit : Allison Michael Orenstein

Diffuse la bonne parole